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Les électeurs sont-ils plus sincères lorsqu’ils votent sous serment ?

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Nicolas Jacquemet, Alexander James, Stéphane Luchini et Jason F. Shogren

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Un très grand nombre de décisions collectives sont tranchées par un vote, destiné à permettre à chacun d’exprimer son opinion et de prendre, sur cette base, la décision qui est la plus fidèle aux préférences de la collectivité. Ce principe ne vaut que si les votes exprimés sont effectivement révélateurs des préférences réelles des votants.

Dans cet article, Nicolas Jacquemet, Stéphane Luchini, Alexander James et Jason Shogren étudient cette question via une expérience dite « contrôlée » dans laquelle les répondants se prononcent par un vote sur l’opportunité de financer un bien public (qui prend concrètement la forme d’une donation au WWF). La décision de financement est prise à la majorité simple.
Dans un premier temps, l’étude compare deux situations diamétralement opposées. Dans la première situation, les votes sont consultatifs : on demande aux participants quel serait leur vote si une donation au WWF était mise en place. Cette situation est caractéristique d’une enquête d’opinion dans laquelle l’expression des différents votes n’est pas suivie d’effet. A l’inverse, dans la seconde situation, le vote est suivi de la mise en place effective de la décision publique, et conduit tous les répondants à contribuer à la donation soumise au referendum si celle-ci est adoptée. Cette dernière condition permet d’observer les préférences des votants en condition réelle, puisque le vote n’est plus seulement déclaratif, fondé sur les intentions, mais a des implications monétaires pour chacun des votants. Sans surprise, la comparaison entre ces deux situations fait apparaître une forte divergence : en moyenne, 61% des votants sont en faveur de la donation dans la première situation, tandis que seuls 22% des votants qui se verront appliquer la décision prise se prononcent pour cette donation. L’interprétation que les auteurs donnent aux résultats de cette expérimentation est que les conséquences financières auxquelles les individus sont confrontés dans la seconde situation constituent un « mécanisme d’engagement » : les votants sont conduits à prendre leur décision de manière plus fiable et plus fidèle vis-à-vis de leurs véritables préférences. Pour améliorer la sincérité des votes dans les situations qui ne donnent pas lieu, par exemple, à des implications financières, cet article propose de recourir à un mécanisme d’engagement non monétaire : un serment par lequel les votants s’engagent solennellement à dire la vérité.
Dans un deuxième temps, les auteurs font la même expérience que précédemment, en remplaçant l’implication financière par ce serment. Les auteurs montrent que ce serment a un effet important sur la sincérité des votes des participants qui sont les plus sujets aux variations décrites ci-dessus. Sous serment, les votes exprimés en l’absence d’enjeux financiers sont ainsi en moyenne beaucoup plus proches des préférences « sincères » – 45% des votants, soit moitié moins qu’en l’absence de serment, se déclarent cette fois-ci en faveur de la donation. Le serment conduit ainsi les votants à mieux prendre en compte les conséquences de leur vote, ce qui rend le résultat du vote consultatif beaucoup plus informatif.

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Titre original de l’article académique : “Referenda under Oath”
A paraitre dans : Environmental and Resource Economics, pp 1-26 - First online : 08 April 2016
Téléchargement : http://link.springer.com/article/10.1007/s10640-016-0023-5

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