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Abaisser les barrières à l’entrée et favoriser “plus de produits, plus d’entreprises” : est-ce toujours une bonne idée ?

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2eTuq4k

Florin Bilbiie, Fabio Ghironi et Marc Melitz

Cette synthèse est basée sur la colonne VOXeu publiée en septembre 2016 intitulée ”The efficiency of entry, monopoly, and market deregulation” : http://voxeu.org/article/efficiency-entry-monopoly-and-market-deregulation

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Les réformes structurelles et la déréglementation, analysées comme moyens d’abaisser les barrières à l’entrée sur un marché donné ou à en promouvoir l’accès, sont des sujets récurrents en macroéconomie, tant historiquement (1) que dans la littérature récente (2). Dans leur article fondateur, Dixit et Stiglitz (1977) avait formalisé un modèle de concurrence monopoliste devenu incontournable : lorsque les préférences pour la diversité prennent une forme spécifique (« CES » pour « Constant elasticity of substitution »), l’équilibre du marché monopoliste aboutit à un optimum en termes d’entrée des entreprises et de variété des produits qu’elles proposent (3). Plusieurs questions émergent naturellement : quand peut-on considérer comme optimale la création de produits par un marché ? Quelles distorsions peuvent freiner cela, quelle est leur amplitude et quel est leur coût en termes de bien-être des agents ? La déréglementation ou la limitation de la hausse des prix sont-elles toujours des idées pertinentes ?

Dans cet article, Florin Bilbiie, Fabio Ghironi et Marc Melitz abordent ces questions à travers un modèle d’équilibre général (4). Tout d’abord, ils généralisent le modèle CES de Dixit-Stiglitz à la nature des préférences pour la diversité. Un équilibre sous-optimal se dessine alors, dans lequel les distorsions génèrent soit trop d’entrée, soit trop peu. La première distorsion (« statique ») se rapporte à un décalage au cours d’une même période entre le bénéfice perçu par les consommateurs d’une diversité accrue de produits, et l’incitation (ou le profit espéré) pour une entreprise de mettre sur le marché un nouveau produit augmentant cette diversité. La seconde distorsion (« dynamique ») est associée aux variations - inter-temporelles cette fois-ci - des markups (i.e marges issues du rapport entre le prix de vente et le coût de production) (5). Une implication immédiate en termes de politiques est la suivante : les effets de la déréglementation ou du « plus de concurrence » sur les richesses créées fluctuent tout au long du cycle économique, en lien avec les goûts des consommateurs pour la diversité et l’incitation financière des entreprises à se porter sur un nouveau marché. Ainsi, toute mesure (telle la déréglementation) qui affecte le nombre d’entrée sur une période donnée doit prendre en compte la dimension temporelle : une vague d’entrées aujourd’hui peut être contre-productive si elle génère demain des marges fortement compressées, menant ainsi à une répartition inefficace des ressources entre les différentes périodes.
Ensuite, F. Bilbiie, F. Ghironi et M. Melitz évaluent une version de leur modèle calibrée sur l’économie américaine et concluent que le coût total en termes de bien-être de l’ inefficacité des entrées et de la variété offerte est très élevé : autour de 2% de la consommation globale. Un déterminant central de ce coût est le degré de réglementation des marchés ; les auteurs soulignent que sur le long terme la déréglementation aboutit à une plus grande substituabilité entre produits, à des marges plus faibles, et une « distorsion statique » également plus faible (soit en d’autres termes un écart moindre entre les marges et les avantages issus de la diversité des produits). Ils observent une grande hétérogénéité entre pays : pour créer une entreprise aux Etats-Unis, cela « coûte » 8,6 jours soit 1% du PIB/an/habitant (les chiffres sont similaires pour l’Australie, la Grande Bretagne et les pays Scandinaves) ; en revanche, une même création « coûte » plus chère en Europe continentale, avec un maximum de 84,5 jours en Espagne et 48% du PIB/an/hab. en Grèce. Les auteurs détaillent ainsi le rôle clé de l’hétérogénéité des réglementations encadrant l’entrée sur un marché dans les variations observées d’un pays à l’autre quant aux ralentissements dans la création et le lancement des produits.
Enfin, les auteurs étudient dans quelle mesure les politiques fiscales pourraient rétablir l’optimum social de la variété des produits. Ils présentent l’exemple d’une combinaison « TVA / taxes sur les profits » qui permet d’aligner les incitations des entreprises à entrer sur un marché et l’appétence des consommateurs pour la variété, corrigeant ainsi les défauts évoqués plus haut. Dans cet article, ils remettent également en question une autre mesure régulièrement évoquée, celle présentant la réduction ou la suppression des marges comme un moyen de restaurer la productivité. Les auteurs montrent que les bénéfices issus de monopoles doivent être préserves lorsque la variété des produits est déterminée de façon endogène par l’entrée sur le marché d’autres entreprises ; en effet, de tels profits jouent un rôle crucial, à l’équilibre, pour donner des incitations pour la détermination d’une diversité de produits qui maximise le bien être des consommateurs.
Les débats sur les réformes structurelles font longue date et continueront. Les résultats des auteurs fournissent, selon eux, des éléments de base permettant l’analyse rigoureuse de telles réformes et favorisant la compréhension de telles questions de politiques publiques centrales (6).

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(1) Robinson (1933), Lerner (1934), Samuelson (1947)
(2) e.g. Draghi 2015, IMF 2015, 2016, OECD 2016
(3) Le terme “Dixit-Stiglitz” est utilisé comme équivalent d’un modèle de préférences CES, soit un cycle économique durant lequel la quantité de biens est fixé et la concurrence monopolistique.
(4) Plus précisément, il s’agit d’un modèle d’équilibre général dynamique avec entrée endogène et concurrence monopoliste
(5) Cette dernière distorsion - l’hétérogénéité des « markups » - peut également inclure un composant statique lorsque des fabricants ayant des productivités différentes font face à des élasticités de substitution variables (cf. 2013 Dhingra-Morrow).
(6) Cette année par exemple, l’un des chapitres de l’ouvrage dU FMI très largement diffusé « World Economic Outlook 2016 » a utilisé une version de ce modèle.

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Titre original de l’article académique : “Monopoly Power and Endogenous Product Variety : Distortions and Remedies”
Référence n°1
Publié dans : CEPR Discussion Papers n°11294, May 2016
Téléchargement : http://cepr.org/active/publications/discussion_papers/dp.php?dpno=11294
Référence n°2
Publié dans : NBER Working Paper N°. 14383
Téléchargement : http://www.nber.org/papers/w14383

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