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[Blog SorbonnEco] Lionel Fontagné : Transition énergétique et prix de l’électricité

Depuis quelques semaines, les chercheurs du CES mettent à disposition, de façon originale, les clés pour appréhender l’économie, en apportant un éclairage scientifiquement fondé et à la portée de tous.
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Transition énergétique et prix de l’électricité

Alors que les prix de l’électricité français sont parmi les plus bas d’Europe grâce à la politique du nucléaire, la transition énergétique entrainera une hausse de ces prix. Comment amortir ce choc pour les entreprises confrontées à la concurrence internationale et pour les ménages les plus modestes en situation de précarité énergétique ? Comment concilier long-terme (une adaptation nécessaire des modes de production et de consommation) et court terme, où l’électricité est un coût pour les entreprises et les ménages ? La transition énergétique est-elle aussi une transition des prix bas vers des prix élevés ?
Par Ljonel Fontagné
Contact : lionel.fontagne chez univ-paris1.fr

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Texte intégral de cet entretien

Pourquoi la transition énergétique risque-t-elle de faire augmenter le prix de l’électricité en France ?
La première raison pour laquelle cela risque de se produire, c’est qu’on doit changer ce que l’on appelle le « mix énergétique », c’est-à-dire la proportion dans laquelle les différentes sources d’énergie approvisionnent les ménages et les entreprises. On sait que la France a un parc nucléaire très important. Même si l’on intègre les mises à niveaux nécessaires post-Fukushima, ce parc nucléaire arrive à produire de l’électricité à un prix qui est finalement assez bas, assez compétitif, de l’ordre de 45 euros le mégawattheure. Si l’on regarde le prix des autres énergies, des énergies nouvelles qui vont participer à cette transition énergétique, on est dans des ordres de grandeur beaucoup plus élevés. Ce qui vient juste derrière, c’est l’éolien, le vent, les éoliennes qui correspondent à un prix d’à peu près 85 euros, donc c’est à peu près le double. Et on a tous en tête le photovoltaïque, les panneaux sur les maisons, et le prix d’achat du photovoltaïque des ménages qui ont installé des panneaux sur leurs maisons est d’à peu près dix fois le prix que coûte un mégawatt fabriqué par une centrale nucléaire. Donc on voit que si l’on veut augmenter la proportion des énergies renouvelables dans le mix énergétique, cela va coûter plus cher en moyenne de fabriquer un mégawatt d’électricité, et ça c’est la première raison.
La deuxième raison, c’est qu’il va falloir modifier les réseaux. Il faut modifier les réseaux pour acheminer l’électricité depuis l’endroit où l’électricité est produite vers l’endroit où l’électricité est consommée. Par exemple si vous faites du solaire, du photovoltaïque, cela va produire plus d’électricité dans les régions ensoleillées ; si vous faites de l’éolien, cela va produire plus d’électricité dans les régions où il y a plus du vent. Et si vous prenez le cas de l’Allemagne dont on reparlera peut-être, et bien l’Allemagne produit énormément d’électricité éolienne dans le Nord et doit l’acheminer par des autoroutes électriques vers le Sud de l’Allemagne. Et ces autoroutes électriques n’étant pas encore en place, c’est le deuxième coût qu’il faut supporter : il faut augmenter la capacité de transport de l’électricité, et ce coût il faut le facturer aux entreprises, aux ménages.
Et donc l’ordre de grandeur qui a été donné en France par la Commission de régulation de l’énergie pour 2017 – 2017, c’est demain – c’est une augmentation en moyenne de 20 % du prix de l’électricité pour assurer la transition énergétique en France.
La transition énergétique va-t-elle poser un problème de compétitivité à l’industrie française ?
Il faut bien comprendre que le prix de l’énergie, en réalité, ce n’est pas le premier poste de dépenses pour les entreprises. Le premier poste de dépenses pour les entreprises, c’est éventuellement d’autres consommations intermédiaires, mais c’est aussi le travail. En réalité, on est en France dans une situation où l’énergie est peu taxée, assez bon marché, en particulier pour les entreprises, et où le travail est très taxé. On est un des pays de l’OCDE qui taxe le plus le travail et donc très cher. Et cette distorsion « l’énergie bon marché, le travail cher » fait que les entreprises utilisent beaucoup d’énergie et peu de travail, ce qui est au fond l’inverse de ce qu’on voudrait avec une société de plein emploi et qui soit dans une perceptive durable en matière d’énergie.
Donc ça, c’est la règle générale. Maintenant, il y a un certain nombre de secteurs qui sont des secteurs très intensifs en énergie, et pour lesquels le coût de l’énergie va représenter beaucoup. Si vous fabriquez du verre plat, si vous êtes dans l’industrie chimique, si vous êtes, donc, dans des secteurs qui utilisent beaucoup d’électricité, vous allez devoir, à ce moment-là, payer une facture très importante pour votre électricité en proportion de vos coûts de production. Pour ces secteurs-là, une petite augmentation du prix de l’électricité peut compter beaucoup.
Dans un rapport que nous avons fait avec des co-auteurs pour le Conseil d’analyse économique, nous avons utilisé les données individuelles d’exportations des entreprises pour essayer de chiffrer ce que représenterait l’augmentation du coût de l’électricité que nous avons évoquée tout à l’heure de l’ordre de 20 %. Et là, les chiffres sont tout à fait édifiants : le coût en perte d’exportations pour les exportateurs français s’élève, à peu près, à 16 milliards d’euros par an. Nous aurions 16 milliards d’euros par an d’exportations en moins, et ceci touche en fait un tout petit nombre d’entreprises, nous sommes en train de parler de quelque chose comme 100 sites industriels, 100 sites industriels qui vont représenter 5 % de l’emploi industriel, donc c’est très concentré sur un tout petit nombre de sites, sur un tout petit nombre d’entreprises.
C’est la raison pour laquelle, dans tous les pays qui taxent beaucoup l’électricité, on a des systèmes de détaxation pour les entreprises « énergie intensive » pour s’assurer qu’elles ne supportent pas trop le coût de l’électricité et que cela n’obère pas trop leurs performances d’exportations. Et l’Allemagne par exemple est un pays qui a fait beaucoup dans cette direction.
Faut-il changer le « mix énergétique » en France ?
Là on dépasse la question du prix de l’électricité, on pose la question du mix énergétique optimal. Sur ce sujet, il y a une espèce d’accord général. Ce qui important, c’est de diversifier au maximum les sources, d’avoir du photovoltaïque, d’avoir de l’éolien, d’avoir de l’hydraulique, d’avoir de la biomasse, etc. C’est la combinaison de toutes ces sources qui est importante, mais il ne faut pas oublier quel est le coût de développement de ces énergies. Dans le cas de l’exemple que vous prenez du photovoltaïque, il faut bien comprendre que le photovoltaïque qui est produit de cette façon est remis dans le réseau, il est racheté, et donc vous avez des flux sortants et des flux entrants selon les moments, selon qu’il fait beau ou pas, donc en réalité c’est une toute petite contribution à une masse d’électricité tout à fait considérable qui est consommée. Donc si on se projette dans un horizon de dix ans pour la France, probablement la solution la plus raisonnable économiquement c’est de faire les travaux nécessaires dans les centrales nucléaires pour continuer à avoir un parc nucléaire suffisant pour continuer à produire de l’électricité bon marché, le temps que la transition énergétique se mette en place. Toute accélération du déclassement des centrales nucléaires au-delà de ce qui sera déclaré nécessaire par les agences de sécurité est quelque chose qui va rendre beaucoup plus difficile la transition énergétique. On a donc cette espèce de paradoxe qu’en essayant d’aller plus vite, cela va être encore beaucoup, beaucoup plus difficile.
Quel modèle allemand utilisé pour la transition énergétique ?
Le modèle allemand, c’est un modèle, nous l’avons dit, où on essaie d’aller plus loin et plus vite dans la transition énergétique, et où il faut financer cette transition énergétique sans remettre en cause la compétitivité des entreprise allemandes. Donc ce qu’ont fait les Allemands est très simple : ils ont augmenté beaucoup le coût de l’électricité, mais ils l’ont augmenté beaucoup plus pour les ménages – qui paient à peu près deux fois le prix des ménages français – que pour les entreprises. Les ménages allemands paient deux fois plus cher : premièrement parce que l’électricité allemande coûte plus cher à produire, parce que le mix énergétique n’est pas le même – pas de nucléaire ou peu de nucléaire –, et deuxièmement les ménages allemands paient plus cher parce qu’il y a plus de taxes. De l’électricité plus chère au départ et plus de taxes pour installer le nouveau réseau, etc., donc la somme des deux fait que les ménages allemands paient deux fois plus cher. Normalement cela ne devrait pas être soutenable pour les entreprises qui sont des entreprises très consommatrices d’électricité, et donc ce qu’ont fait les Allemands, c’est qu’ils ont mis en place un système par lequel les entreprises paient beaucoup moins cher. Il y a un système de détaxation pour les entreprises qui utilisent beaucoup d’énergie, de telle sorte qu’à la fin, ces entreprises allemandes qui sont dans ces secteurs (le verre, la chimie, etc.) paient leur électricité à peu près le même prix que les entreprises françaises. Donc la différence doit bien être payée par quelqu’un. Le manque de taxes, le manque de rentrées pour payer le réseau doit être payé par quelqu’un, et ce « quelqu’un » c’est donc les ménages allemands qui paient beaucoup plus cher leur électricité que les ménages français.
De surcroît, les Allemands ont essayé d’aller dans la direction strictement opposée de la nôtre. Nous avons dit qu’en France, nous avons beaucoup de taxes sur le travail, peu de taxes sur l’électricité. Nous venons de dire que les Allemands ont essayé d’avoir beaucoup de taxes sur l’électricité. Mais en plus, depuis 1999, ils ont une taxe supplémentaire sur l’électricité qui s’appelle la « Stromsteuer », qui est de 20 € par mégawatt, et cette taxe de 20 € sert à baisser les cotisations vieillesses. Imaginez que si l’on adoptait la même solution en France, sur votre facture d’électricité vous auriez une partie de ce que vous payez qui irait renflouer les caisses de pensions pour la vieillesse pour diminuer les cotisations des entreprises et pour favoriser l’emploi. C’est donc une politique où les ménages paient cher leur électricité pour permettre aux entreprises allemandes pour payer moins cher, et en plus paient cher leur électricité pour permettre aux entreprises allemandes de payer moins cher aussi leur travail, pas juste leur électricité. C’est la combinaison des deux qui fait que l’électricité est très chère pour les ménages en Allemagne.
Quelles sont les limites du modèle allemand ?
Il faut bien comprendre que ce système allemand est en train de toucher ses limites pour trois raisons.

  • La première raison, c’est celle que vous venez de mentionner qui est très importante. C’est la question de la précarité énergétique, l’idée que certains ménages vont être en difficulté pour simplement régler leur facture d’électricité, et ça c’est très difficile à gérer. Est-ce-que l’on doit adopter une tarification différenciée ? C’est très difficile, on ne connaît pas le détail des ménages, c’est très difficile à mettre en œuvre. Est-ce que l’on doit adopter un système forfaitaire dans lequel on fait un chèque aux ménages pour acheter leur électricité, comme on le fait en Angleterre ? On voit bien aussi que c’est à l’origine d’effets d’aubaines, donc c’est quelque chose de très difficile mais qui doit être traité, et qui doit être traité en France si le prix de l’électricité devait augmenter beaucoup, c’est une première difficulté.
  • La deuxième difficulté, c’est quand vous allez trop loin dans la détaxation de l’électricité pour les entreprises qui sont le plus utilisatrices des énergies : vous êtes en train de donner, d’une certaine façon, des subventions à ces industries. Ce que font les Allemands, c’est bien ça : d’une certaine façon, ils subventionnent leurs industries par ce biais, et vous savez que la Commission européenne à Bruxelles n’aime pas les subventions de ce type aux industries, aux entreprises. Et donc en mars dernier, en mars 2013, la Commission européenne a lancé une enquête approfondie contre l’Allemagne pour aide d’État, pour aide indue à l’économie, aux entreprises fortement utilisatrices d’électricité.
  • Et de leur côté, les ménages allemands eux-mêmes ont porté plainte, ont mis le cas devant les tribunaux allemands puisqu’il n’y avait pas égalité, alors qu’en Allemagne c’est inscrit dans la constitution. Il n’y avait pas égalité devant le paiement des taxes, puisque les ménages paient les taxes et qu’à la fin certaines entreprises ne paient pas les taxes. Et donc, le tribunal de Düsseldorf a considéré, effectivement, toujours en mars 2013, que ce système allemand était anticonstitutionnel. Et donc Madame Merkel, si elle est réélue 1, va devoir réexaminer tout ce système de tarification de l’électricité et trouver un système pour ne pas pénaliser la compétitivité des entreprises, tout en assurant la transition énergétique, tout en s’assurant aussi qu’il n’y aura pas de précarité énergétique excessive en Allemagne. Ce qui fait un ensemble de données et d’équations très difficiles à résoudre.