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Débat sur les politiques publiques zonées (ZFU, ZEP, RAR...)

Sortir les populations fragilisées de la pauvreté et du chômage : des politiques publiques zonées ambitieuses... au succès mitigé ?

> Laurent Gobillon, Membre affilié à PSE, chargé de Recherche à l’INED
> Miren Lafourcade, Membre affiliée à PSE, professeur à l’Université Paris Sud

Il existe deux grands types de politiques publiques zonées visant à améliorer la situation des populations fragilisées. La première famille cible les entreprises : elle a pour objectif de les attirer dans les zones les plus touchées par la pauvreté et le chômage, afin d’y créer des emplois qui pourront être occupés par la population résidente. La seconde famille est au contraire axée sur les personnes : elle englobe d’une part les politiques visant à améliorer l’éducation des populations des quartiers défavorisés, et d’autre part les mesures visant à faciliter leur mobilité résidentielle vers d’autres quartiers, en les aidant par exemple à accéder à un logement près d’un grand centre d’emplois. Ces politiques, dont les coûts sont à la hauteur de l’ambition très louable qui les motive – sortir des populations fragilisées de la pauvreté et du chômage – sont-elles efficaces ?

LES POLITIQUES ZONEES CIBLANT LES ENTREPRISES

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En France, les Zones Franches Urbaines (ZFU) créées en 1996 dans le cadre du Pacte de relance pour la ville, ont été conçues pour favoriser le développement économique des quartiers cumulant pauvreté et chômage, grâce à des exonérations fiscales et sociales bénéficiant aux entreprises implantées ou s’installant dans ces zones. Prévu à l’origine pour bénéficier à 44 quartiers prioritaires pendant cinq ans, le dispositif a été étendu une première fois en 2004 avec la création de 41 nouvelles ZFU dites de « seconde génération », puis à nouveau en 2006, pour atteindre un total de 100 ZFU. En 2013, le coût du dispositif était évalué à 470M€, soit bien davantage que le coût de politiques similaires menées dans d’autres pays (1).
Les travaux ayant évalué l’efficacité de cette politique sont très consensuels. L’approche généralement retenue pour réaliser cette évaluation consiste à comparer les performances des ZFU à celles de quartiers « témoins » similaires, mais n’ayant pas bénéficié des exonérations. Ces travaux montrent que, globalement, les ZFU ont réussi à attirer des entreprises, qui ont créé des emplois. Ce succès doit cependant être relativisé : la plupart de ces entreprises correspondent à des transferts d’activités en provenance des quartiers n’ayant pas bénéficié de la politique, et non à des créations, ce qui pose le problème de l’efficacité globale de la politique (2). Les ZFU ont aussi contribué à redynamiser l’emploi des quartiers ciblés (3), en particulier les ZFU de première génération (4), mais ces emplois n’ont pas nécessairement bénéficié aux résidents. En Ile-de-France par exemple, la politique n’a eu qu’un impact très faible, et très localisé, sur le taux de retour à l’emploi des résidents (5). Ailleurs, la politique a réduit le chômage mais c’est en partie dû à des effets de composition sociale des quartiers : la politique des ZFU a attiré ou retenu les personnes les plus aptes à occuper les emplois créés dans ces zones, notamment les diplômés (6). Ce succès mitigé des ZFU s’explique en partie par une très forte hétérogénéité spatiale de l’effet de la politique : seules les ZFU les mieux desservies par les transports urbains et les moins enclavées ont su tirer parti du dispositif pour créer de nouvelles entreprises et des emplois (7). Il est donc important pour les pouvoirs publics de coupler leur réflexion sur la nouvelle géographie prioritaire à celle, plus générale, du désenclavement des quartiers ciblés.

LES POLITIQUES ZONEES CIBLANT LES PERSONNES

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D’autres politiques zonées ciblent directement les résidents des quartiers défavorisés. Les Zones d’Education Prioritaires créées en 1981, et les Réseaux Ambition Réussite qui les ont remplacées en 2006, ont pour objectif de lutter contre l’échec scolaire. Les établissements présents dans ces zones reçoivent des moyens supplémentaires et bénéficient d’une plus grande autonomie pour faire face aux difficultés scolaires de leurs élèves. Les études suggèrent que ces politiques éducatives zonées ont malheureusement peu d’impact sur la réussite des élèves et leur trajectoire scolaire future. Leur efficacité se heurte à deux effets pervers potentiels. D’une part, les élèves des ZEP ou des RAR, de par leur très faible niveau scolaire, tendent à tirer moins de bénéfices du soutien scolaire, en moyenne, que d’autres élèves ; la mesure de l’impact s’avère donc difficile. D’autre part, ces politiques ont un effet stigmatisant poussant certaines familles, généralement les mieux éduquées, à fuir les quartiers aidés, ce qui amplifie la ségrégation contre laquelle la politique ambitionnait justement de lutter (8).
Les politiques visant à favoriser la mobilité résidentielle dans certaines zones sont aussi au cœur de l’actualité française. Rappelons qu’un décret, en constante réécriture depuis 2012, prévoit d’encadrer la hausse des loyers lors d’une relocation ou lors d’un renouvellement du bail dans les villes connaissant une forte tension du marché locatif, c’est-à-dire les très grandes agglomérations. Parallèlement, la loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR) a créé un nouveau dispositif d’encadrement des loyers pour les agglomérations où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements. L’application de cette loi suscite actuellement de vifs débats, liés à l’existence d’effets pervers qu’une telle régulation peut engendrer (faible qualité du parc locatif privé, comportements discriminatoires des propriétaires).
La loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain (SRU), votée le 14 décembre 2000, est un autre exemple emblématique des politiques zonées de personnes. Son article 55 impose aux communes moyennes et grandes de disposer d’au moins 20% de logements sociaux sous peine d’amende, la loi ALUR ayant passé ce seuil à 25%. L’objectif de cette mesure législative est d’inciter les communes à développer leur parc HLM afin d’assurer une meilleure intégration des populations fragilisées, et de favoriser la mixité sociale. Le revers de cette aide à la relocalisation est que les ménages modestes habitant un HLM d’une commune riche pourraient avoir plus de difficultés à trouver un emploi adapté à leur niveau de qualifications. Gobillon et Vignolles (9) étudient les effets de la loi SRU en exploitant une discontinuité dans son champ d’application. En effet, comme la loi ne s’applique qu’aux communes de plus de 3 500 habitants en province et 1 500 habitants en Ile-de-France, il est possible de comparer l’évolution du parc des communes situées juste au-dessus du seuil, qui sont ciblées par la loi, et des communes situées juste en-dessous, qui sont très similaires mais ne sont pas concernées par la loi. Cette comparaison montre que la loi SRU a eu un effet positif significatif sur la construction de logements sociaux, et croissant au cours du temps : +2,9 points de % entre 2000 et 2004, +6,6 points entre 2000 et 2008, relativement aux communes « témoins ». En retour, la loi SRU a cependant eu un effet négatif modeste sur les évolutions du revenu moyen et des prix de l’immobilier ancien dans les communes ciblées. Elle a par ailleurs affecté positivement l’évolution du nombre de transactions, de l’ordre de 5,5 points de % sur la période 2000-2008. Ce relâchement local du marché du logement suggère que les communes ciblées, du fait de l’arrivée de populations plus modestes, ont dans une certaine mesure perdu en attractivité.
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Références :
(1) Neumark D. and H. Simpson (2014), “Place-based policies”, NBER Discussion Paper n°20049, en preparation pour le Handbook of Urban and Regional Economics, vol.5 Eds. G. Duranton, V. Henderson et W. Strange, Elsevier, à paraître.
(2) Givord P., Rathelot R. and P. Sillard (2013), “Place-based tax exemptions and displacement effects : An evaluation of the Zones Franches Urbaines program", Regional Science and Urban Economics, 43(1), pp. 151-163.
(2) Mayer T., Mayneris F. and L. Py (2014), “The Impact of Urban Enterprise Zones on Establishments’ Location Decisions : Evidence from French ZFUs”, version révisée du CEPR Working Paper n°9074.
(3) Rathelot R., et P. Sillard (2008), « Zones Franches Urbaines : quels effets sur l’emploi salarié et les créations d’établissements ? », Economie et Statistique, 415-416, pp. 81-96.
(4) Givord P., Quantin S. and C. Trévien (2012), “A Long Term Evaluation of the First Generation of the French Urban Enterprise Zones”, Document de travail de la Direction des Etudes et Synthèses Economiques de l’INSEE n°G2012-01.
(4) Givord P. et C. Trévien (2012), « Les zones franches urbaines : quel effet sur l’activité économique ? », Insee Analyses n°4 (mars).
(5) Gobillon L., Magnac T. and H. Selod (2012), “Do Unemployed Workers Benefit from Enterprise Zones : the French experience”, Journal of Public Economics, 96 (9-10), pp. 881-892.
(5) Gobillon L. and T. Magnac (2013), “Regional Policy Evaluation : Interactive Fixed Effects and Synthetic Controls”, IZA Working Paper n°7493.
(6) Charnoz P. (2015), “French Enterprise Zone Program : Dit it Help the Residents of Deprived Neighborhoods ?”, Mimeo Université Paris-Sud et CREST.
(7) Briant A., Lafourcade M. et B. Schmutz (2015), “Can Tax Breaks Beat Geography ? Lessons from the French Enterprise Zone Experience”, à paraître dans American Economic Journal : Economic Policy.
(8) Beffy M. and L. Davezies (2013), “Has the “Ambition Success Networks« Educational Program Achieved its Ambition ? », Annales of Economics and Statistics, 111-112, pp. 271-294.
(8) Benabou R., Kramarz F. et C. Prost (2004), « Zones d’éducation prioritaire : quels moyens pour quels résultats ? Une évaluation sur la période 1982-1992 », Economie et Statistique, 380, pp. 3-30
(8) Benabou R., Kramarz F. et C. Prost (2009), “The French Zones d’Education Prioritaire : Much ado about nothing ?”, Economics of Education Review, 28, pp. 345-356.
(8) Caille J.-P., Davezies L. and M. Garrouste (2014), “Evaluation of the ambition success networks, A regression discontinuity analysis”, Mimeo CREST.
(8) Davezies L. and M. Garrouste (2014), “More harm than good ? Sorting effects in a compensatory education program”, Mimeo CREST.
(9) Gobillon L. et B. Vignolles (2014), “Evaluation de l’effet d’une politique spatialisée : la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU)”, PSE Working Paper n°2014-22.