La science économique au service de la société

Interview : Pierre Lasserre, éclaireur éclairé

Interview invité : Pierre Lasserre, éclaireur éclairé

Pourriez-vous nous présenter vos spécialités ?

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Pierre Lasserre Je travaille sur des questions et modèles théoriques relatifs à l’environnement et aux ressources naturelles. Dans ce contexte je m’intéresse aux interventions étatiques, aux implications des externalités et au contexte institutionnel… J’étudie également les décisions, souvent irréversibles, prises en contextes dynamiques et incertains. Cette approche de « théoricien appliqué » me passionne : les hypothèses étudiées afin de formaliser et optimiser les modèles sont généralement issues de situations concrètes, et à l’inverse, les modélisations théoriques proposées peuvent aider à structurer nombre de débats et d’applications. Je pense par exemple aux calculs et implantations des taxes environnementales, aux scénarios énergétiques mondiaux liés aux ressources non renouvelables ou encore aux modalités de protection des espèces en danger ou des espaces forestiers. Les questions environnementales ont occupé les économistes tout au long du XXe ; l’American Economic Review a soufflé ses 100 bougies en 2011 en reprenant notamment un des articles de la toute première édition : une chercheuse y traitait de la tragédie des ressources communes, où comment ce qui est en libre accès semble être systématiquement (gas)pillé par les humains.
Constat malheureux qui est encore plus d’actualité au XXIe siècle…
Comment percevez-vous l’écart entre l’intense travail scientifique réalisé sur ces sujets, et la lenteur des décisions collectives et politiques ?
P.L. Les scientifiques et notamment les économistes ne doivent pas rester en dehors du collectif ; ils doivent se préoccuper du contexte, du mode de décision et d’adhésion : si je veux être un économiste « utile », je dois sortir de ma discipline en réfléchissant sur les manières d’implanter les mesures et de convaincre la société qu’elles sont bonnes. Par ailleurs, ce que les économistes considèrent comme désirable n’est pas toujours la panacée. L’un de mes étudiants vient de terminer sa thèse sur les droits de propriété : contrairement à la vision habituelle des économistes qui considèrent que seuls des droits de propriété complets et exclusifs sont parfaits, il montre et illustre que des droits partiels, incomplets, peuvent être préférables dans certaines circonstances. Son message est donc que la société est parfois plus proche de ce qui est désirable que ne le suggère le modèle économique standard. Par ailleurs, les idées préconisées par les économistes de l’environnement qui étaient considérées comme utopiques et obscures il y a quelques décennies sont souvent devenues pratique courante ou sont l’objet d’expériences et de mises au point. Ainsi la tarification de l’électricité en fonction de l’heure de la journée, de la saison ou du contrat que choisit un usager est la règle en France, pays précurseur en la matière. Les bourses « carbone » ou les écotaxes ne sont pas encore toujours bien comprises, mais elles ont largement dépassé le stade de la recherche académique.
Que vous apporte votre séjour parisien ?
P.L. Je suis venu plusieurs fois en Europe ces dernières années, et la communauté des chercheurs m’accueille toujours aussi bien. Nous discutons sur des sujets très variés : il nous faut semer intensément, puis être patient et voir ensuite ce qui ressort de nos analyses. Cette année je suis intervenu dans le cadre de la Chaire PSE-Ministère de l’Écologie qu’anime Miren Lafourcade ; j’ai aussi donné un séminaire d’économie de l’environnement à l’Université Paris I ; et je réalise un cours doctoral en 4 séances sur « l’offre de ressources naturelles ».
Ici comme à Montréal, j’ai la chance de travailler sur une spécialité très vivante. Ces trois mois à PSE sur le campus de la MSE me permettent de finaliser certaines recherches pour lesquelles le temps me manquait, et d’explorer des pistes inattendues : le cas des investissements irréversibles sur un marché imparfait, les questions de mesure de la biodiversité dans le cadre d’un modèle multidimensionnel, des problématiques liées aux taxes pigouviennes qui visent à intégrer dans le calcul économique certaines externalités… Le temps passe, et la liste des envies ne se réduit jamais !


Article issu de la Lettre PSE n°17 :

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