La science économique au service de la société

L’augmentation du salaire minimum en Chine : une excellente réforme pour salariés et employeurs

Sandra Poncet : L’augmentation du salaire minimum en Chine : une excellente réforme pour salariés et employeurs

Membre associé à PSE, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
La hausse du salaire minimum peut-elle améliorer la condition des travailleurs sans nuire au processus de croissance lui-même, particulièrement dans les pays en développement ? Si l’objectif social du salaire minimum n’est guère contesté, les débats sur son efficacité ont toujours été vifs, les économistes s’interrogeant sur les conséquences non recherchées du salaire minimum. Quel est, en particulier, son impact sur les travailleurs au bas de l’échelle des rémunérations ?
Les effets pervers possibles
Théoriquement, sur un marché du travail concurrentiel, le salaire est égal à la productivité marginale du travail. Lorsque la productivité marginale du travail décroît avec le nombre de travailleurs employés dans une entreprise, un salaire minimum fixé au-dessus du salaire d’équilibre de marché diminue la demande de travail des entreprises. Au contraire, sur un marché du travail où l’employeur dispose d’un pouvoir de marché tel qu’il peut fixer le salaire en dessous de la productivité marginale du travail, un salaire minimum supérieur à ce niveau (mais n’excédant pas le produit marginal) peut conduire à une augmentation de l’emploi.
Concernant les pays en développement, la référence a longtemps été le modèle dit « dualiste formel-informel » : la fixation d’un salaire minimum touchant uniquement les activités formelles déplacerait l’emploi vers l’informel en exerçant une pression à la baisse sur les salaires. La littérature économique pointe par ailleurs le risque de perte de compétitivité et de blocage du processus de croissance si les augmentations de salaires imposées aux entreprises dépassent les gains de productivité. Seule une amélioration de la qualité de leurs produits ou de leur productivité pourrait permettre à ces pays de rétablir leur compétitivité et d’échapper à la « trappe à revenu intermédiaire ». Les très nombreux travaux empiriques, menés surtout sur les pays développés, n’ont pas mis fin à ces controverses théoriques et globalement suggèrent que les hausses de salaire minimum ont un effet très faible sur l’emploi.

PNG - 60.4 ko

L’expérience chinoise pointe un effet favorable sur la productivité
Dans un récent article co-écrit avec Florian Mayneris et Tao Zhang (1), nous étudions la réforme chinoise du salaire minimum de 2004 qui consistait en une décision centralisée de hausse des salaires minimums régionaux. Nous avons pour cela analysé une base de données regroupant plus de 160 000 entreprises manufacturières basées en Chine, soit environ 70% du total de l’emploi industriel et 90% de la production (en 2003). Nous avons dans un premier temps observé les évolutions effectives des salaires suite à la réforme. Ces entreprises ont réagi massivement via l’ajustement ou l’augmentation des salaires : la croissance du salaire minimum a été en moyenne de +20% entre 2003 et 2005. Les entreprises ont clairement intégré les nouveaux minima, notamment celles qui ont été contraintes de s’ajuster car leur salaire se retrouvait en dessous du nouveau plancher. En moyenne, les salaires ont progressé de +92%, contre +13% dans les firmes pour lesquelles aucune hausse n’était exigée par la réforme.

PNG - 15.6 ko

Dans un deuxième temps, nous nous sommes intéressés aux effets de ces hausses salaires. Les principales répercussions sont en termes de productivité : certaines entreprises ont fermé, remplacées par d’autres plus productives, tandis que celles qui ont maintenu leur activité ont amélioré leur productivité. Au total, entre l’année qui a précédé la réforme et celle qui l’a suivie, la hausse du salaire minimum expliquerait 20 % des progrès de productivité des entreprises. Cette hausse de la productivité se retrouve également au niveau agrégé des villes : la croissance de la productivité s’explique pour 60% par l’entrée nette de firmes plus efficaces, et pour le reste par la plus grande efficacité des entreprises survivantes. Quant à l’emploi, il n’a pas diminué.

Ainsi, au milieu des années 2000, dans un environnement de forte croissance, la hausse du salaire minimum en Chine a-t-elle pu accélérer les gains de productivité sans nuire à l’emploi… et apporter ainsi un stimulus supplémentaire à la croissance. Bien sûr, pour chaque pays, l’ampleur de cette hausse ou encore la structure initiale de l’économie déterminent largement le caractère négatif ou positif d’une telle intervention ; de récentes recherches (2) suggèrent notamment des répercussions négatives sur l’emploi lorsqu’un seuil « raisonnable » est dépassé. Mais ces résultats laissent penser que dans les pays en développement où les sources d’inefficacité productive (3) sont nombreuses, la hausse des coûts engendrés par la croissance du salaire minimum peut être facilement compensée par des gains d’efficacité, ouvrant la voie à un scénario gagnant-gagnant pour les salariés et les employeurs.
................
(1) The cleansing effect of minimum wage : Minimum wage rules, firm dynamics and aggregate productivity in China
(2) Notamment : “A Micro-Simulation-Based Estimation of the Effects of Minimum Wage Changes in the Philippines” et “Introducing a Statutory Minimum Wage in Middle and Low Income Countries” par D. Margolis et al.
(3) Je pense ici essentiellement à l’inefficacité des entreprises (lorsqu’elles n’opèrent pas avec la technologie ou la productivité optimale) et à une allocation non pertinente des ressources entre entreprises (avec par exemple des capitaux alloués en priorité à un secteur étatique inefficace, au détriment des entreprises)
................