La science économique au service de la société

Lettre trimestrielle PSE n°27, septembre 2016

TRIBUNE. Bertrand Wigniolle - Les cigales continueront-elles à chanter après l’été ?

INVITÉ. Gary Fields : « Les décideurs publics sont plus ouverts qu’auparavant à des nouvelles idées, et les chercheurs sont davantage écoutés »

PARCOURS. Philippe Sourlas, actif et engagé

TRIBUNE. Luc Arrondel et Richard Duhautois - Le football et les sciences sociales : « on refait le match » ?

ENTRETIEN. Jourdan 2016 : trois questions à Odile Hagenmüller et Thierry Van de Wyngaert

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TRIBUNE. Bertrand Wigniolle - Les cigales continueront-elles à chanter après l’été ?

Chaire Associée à PSE, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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Imaginons une économie peuplée de cigales et de fourmis. Les cigales vivent dans le présent et consomment dès maintenant leurs ressources. Les fourmis au contraire pensent à l’avenir et accumulent des réserves. Après quelques années ou quelques générations, les fourmis détiennent tout le capital et les cigales remboursent péniblement les dettes qu’elles ont accumulées. Dans une telle économie, l’Etat (ou un planificateur social bienveillant) doit-il intervenir et au nom de quels principes ? Doit-il évaluer la situation avec la vision des cigales ou avec celles des fourmis ? D’autre part, faut-il faire confiance aux préférences propres des fourmis et des cigales pour déterminer le critère de bien-être social ? L’économie comportementale met en évidence différentes formes d’ « irrationalité » qui peuvent affecter les choix des agents. Si les agents sont irrationnels, un planificateur bienveillant, paternaliste, devrait les inciter (ou obliger) à suivre des comportements différents de ceux qu’ils souhaitent spontanément, par exemple forcer les cigales à épargner. D’une certaine manière, il s’agirait de faire leur bonheur malgré eux.
Sur ces questions classiques en théorie du choix social et en économie publique, cette tribune vise simplement à présenter quelques résultats de recherches en cours développées en collaboration avec Jean-Pierre Drugeon. Le cadre de ces travaux est le modèle de croissance. Dans le modèle le plus simple, aucun problème n’existe pour la définition d’une politique optimale de croissance : on considère un agent « représentatif » à durée de vie infinie, parfaitement rationnel. Si l’on ajoute un secteur productif concurrentiel, l’équilibre est optimal. Maintenant, si les agents diffèrent par leur taux de préférence pour le présent, tels des fourmis et des cigales, les premières finissent par détenir toute la richesse alors que les secondes s’endettent et ne consomment plus à long terme. En supposant qu’un planificateur bienveillant maximise le bien-être total obtenu en additionnant les utilités de chaque agent, le planificateur va donc valoriser à long terme la consommation des fourmis avec un poids beaucoup plus grand que celle des cigales. Bien que seules les fourmis comptent à long terme, l’équilibre où elles accumulent toute la richesse semble optimal.
Dans un premier travail , nous relevons un problème lié à la définition précédente de l’optimum social : dès lors que les agents valorisent le futur différemment, le programme de planification que nous venons de décrire n’est plus temporellement cohérent. S’il était reposé à une autre date, il conduirait à une solution différente. Nous proposons alors un nouveau concept d’optimum social imposant la cohérence temporelle. Il conduit à un état où fourmis et cigales ont une même consommation et où le long terme est déterminé par un taux de préférence pour le présent qui correspond à une moyenne entre les taux des cigales et des fourmis.
Dans une autre contribution, nous supposons en plus une certaine forme d’irrationalité des agents. Le modèle comporte toujours des cigales et des fourmis, mais maintenant les cigales « procrastinent » : elles remettent chaque jour au lendemain la décision d’épargner. La cigale qui décide aujourd’hui n’est pas d’accord avec celle qui décidera demain. Il faut alors considérer chaque cigale comme une suite d’incarnations, l’incarnation d’une certaine période prenant la décision de consommation et d’épargne à cette période. Dans ce cadre, deux concepts d’optimum social sont discutés. Le premier consiste à pondérer de manière appropriée les utilités des différentes incarnations des agents, et de les ramener tous par ce biais aux préférences des fourmis. Tous les problèmes d’irrationalité et d’hétérogénéité sont ainsi résolus, mais les préférences spécifiques des cigales sont bien oubliées ! Au contraire, une autre solution est possible en appliquant la méthode de l’article précédent, qui permet d’assurer la cohérence temporelle, et aboutit à une situation où la préférence pour le présent du planificateur est une moyenne de celle des fourmis et des cigales. Il semble ainsi qu’il soit possible de réconcilier cigales et fourmis, et de fournir un nouvel épilogue à la fable !

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(1) Jean-Pierre Drugeon, et Bertrand Wigniolle, 2016. « On time-consistent policy rules for heterogeneous discounting programs, » Journal of Mathematical Economics, vol. 63(C), pages 174-187
(2) Jean-Pierre Drugeon, et Bertrand Wigniolle, 2016. "On Time Consistency and Pareto-Optimality in a Model with Heterogeneous with Quasi-Hyperbolic Discounting Agents”, mimeo.


INVITÉ - Gary Fields : « Les décideurs publics sont plus ouverts qu’auparavant à des nouvelles idées, et les chercheurs sont davantage écoutés »

Vous semblez avoir un lien particulier avec le campus Jourdan et PSE
C’est vrai : depuis les années 80, je suis venu six fois ici en tant que visiteur, pour un total de presque trois ans ! J’aime séjourner et travailler à PSE, qui offre un environnement intellectuel formidable, avec d’excellentes recherches et des étudiants remarquables. D’autant que je suis particulièrement occupé à Cornell, et que mes passages à Paris me permettent de faire un pas de côté, de prendre plus de temps pour parler avec des chercheurs et des étudiants, et bien sûr de travailler plus longuement sur mes articles.

Justement, sur quoi travaillez vous actuellement ?

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J’ai deux projets de recherche principaux en cours. L’un concerne les différences entre l’étude des inégalités par la méthode en “coupe transversale” et celle s’appuyant sur les évolutions des revenus au sein de panels. J’essaie notamment de savoir si et comment ces deux approches pourraient concorder, malgré des conclusions différentes dont je tente de cerner au mieux les hypothèses. En effet, la première regroupe des économistes qui chaque année analysent la distribution des revenus et des richesses d’une nouvelle cohorte ; assez répandue, cette approche souligne que les individus riches perçoivent et accumulent de plus en plus, mais elle ne nous informe pas sur le fait que le top 10% ou top 1% ne se composent pas en continu des mêmes individus. Dans la seconde approche, des économistes analysent et “suivent” les mêmes personnes année après année ; ils en concluent que ceux situés dans le bas de la distribution des revenus tendent à bénéficier davantage de la croissance économique que ceux des centiles supérieurs, tant en termes relatifs qu’absolus – leurs trajectoires sont clairement positives.
Mon deuxième projet en cours porte sur l’analyse du marché du travail. Je me place entre la macro et la micro, au niveau du marché, afin de formaliser des modèles théoriques de compréhension des changements qui opèrent au sein de différents secteurs durant des périodes de croissance ou de crise, de chômage de masse ou de plein emploi. J’intègre également dans ma réflexion les modifications de la structure de l’emploi et des salaires, et j’essaie d’apporter des améliorations substantielles aux outils existants en prenant en compte plus de facteurs “réalistes” et plus d’informations spécifiques à chaque pays. Pour l’instant, ces modèles s’appuient sur des données empiriques relatives au Brésil, à la Chine et à l’Inde.

Vous semblez plus prolifique que jamais, avec notamment deux livres à paraître (1)
Je me suis toujours soucié de l’équilibre entre la conduite de mes recherches et les échanges qu’elles me permettent d’avoir avec des institutions, des dirigeants, ou avec un public plus large (cf Lettre PSE juin 2011, “Aux armes (intellectuelles) citoyens !”). Ceci étant, je sens qu’actuellement les décideurs publics sont plus ouverts qu’auparavant à de nouvelles idées, et que les chercheurs sont davantage écoutés. Par ailleurs, la disponibilité quasi instantanée des informations sur un très large éventail de sujets a radicalement modifié la façon dont les scientifiques travaillent. J’ai accès à de très nombreuses recherches qui nourrissent mon travail, voire, pour les meilleures d’entre elles, qui réorientent ma façon de penser. Je suis vraiment optimiste pour la suite : l’économie du développement n’a jamais été aussi bien équipée pour aborder et approfondir certains des sujets contemporains les plus urgents – la pauvreté, les inégalités, la santé… Je travaille chaque jour pour contribuer, aussi modestement soit-il, à ces réflexions, pour poursuivre ce qui a été entrepris et, je l’espère, pour donner des pistes et des envies aux nouvelles générations d’étudiants et de chercheurs.

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Gary Fields est titulaire de la Chaire John P. Windmuller en économie internationale et comparée du marché du travail, et est professeur d’économie à l’Université de Cornell (Ithaca, NY). Il est lauréat du prix IZA 2014 en économie du travail, prix mondialement reconnu dans ce champ d’études. Il est l’auteur de plus de 150 articles académiques dont plusieurs ont été publiés dans les meilleures revues. Il a également écrit des ouvrages de référence paru chez plusieurs éditeurs universitaires (Cambridge, MIT, Oxford…).


PARCOURS. Philippe Sourlas, actif et engagé

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Il est des carrières qui tentent de concilier un intérêt intellectuel pour le secteur financier et la participation à des missions d’intérêt général : celle que construit Philippe Sourlas est de celles-là. Ce Parisien de naissance fait d’abord des études scientifiques à l’École Polytechnique. Il s’y passionne pour les problématiques économiques et financières, et décide de suivre en 2005-2006 les enseignements de l’ENSAE et du Master APE, qui allait intégrer l’année suivante l’Ecole d’économie de Paris. Cette formation lui permet de découvrir le secteur financier sous différents prismes : historique, juridique, économétrique, etc.
Désireux d’œuvrer pour le secteur public, Philippe Sourlas commence sa carrière à l’inspection des finances, ce qui l’éloigne du secteur financier pour le rapprocher de l’évaluation des politiques publiques. Dès 2008, cependant, il revient à ses premières amours et intègre l’Autorité de Contrôle des Assurances et des Mutuelles, où il travaille à la fois sur le contrôle prudentiel des sociétés d’assurance et sur la préparation, à l’échelle internationale, des nouvelles réglementations du secteur. En 2014, il quitte le domaine de l’assurance pour celui de la banque, toujours au sein de ce qui est devenu entretemps l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution. Enfin, en 2016, Philippe Sourlas rejoint l’Autorité des Marchés Financiers : là, il est question de régulation de la gestion d’actifs (agrément et suivi des sociétés de gestion, des produits d’épargne collective, analyse de leurs documents commerciaux, etc).
Philippe Sourlas retient de ses études l’expertise scientifique et technique qu’elles lui ont apportée, mais aussi une culture générale qui lui permet de replacer son action quotidienne dans un panorama plus large qui en éclaire les finalités et les règles. Et il adresse un message aux étudiants d’aujourd’hui : son secteur d’activité est un pourvoyeur d’emplois passionnants et utiles !

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Philippe Sourlas est actuellement Directeur adjoint à la direction de la gestion des actifs - Autorité des Marchés Financiers


TRIBUNE. Luc Arrondel et Richard Duhautois - Le football et les sciences sociales : « on refait le match » ?

L. Arrondel est Membre associé à PSE, Directeur de recherche CNRS
R. Duhautois est Chercheur au CNAM.

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En 1863, 17 représentants des publics schools anglaises se sont réunis pour unifier les règles du football qui variaient alors d’un collège à l’autre. Ces représentants allaient, sans doute involontairement, écrire l’un des chapitres importants de l’histoire du sport moderne. En effet, 13 représentants ont voté en faveur des 13 lois qui unifièrent les règles du football. Imaginaient-ils que 150 ans plus tard, la coupe du Monde de football puisse être regardée par la terre entière ? Que s’est-il passé entre temps ? Comment est-on passé d’une pratique sportive destinée à la formation des futures élites anglaises, ou en France à une pratique de patronage, à un business universel ? Bill Shankly, emblématique entraineur du Liverpool FC, disait que « Le football est un sport simple, rendu compliqué par les gens qui n’y connaissent rien ». Cette simplicité explique sûrement le succès planétaire de ce jeu noble (beautiful game) mais ne justifie pas que les intellectuels, notamment français, s’en soient désintéressés, voire moqués (1).

Le football : un fait social total
En Angleterre et en Allemagne, les historiens, les sociologues, les anthropologues et les économistes étudient depuis longtemps le football. Pour l’Angleterre cela se justifie facilement : le football y est né et s’y est développé. Comprendre le football était donc une façon de comprendre la société et ses mutations. Pour l’Allemagne, la place importante du sport en général et du football en particulier dans la société a vraisemblablement incité les chercheurs à se spécialiser dans son analyse, aidés par la grande disponibilité de données.
Les livres Soccernomics (2009) et Sciences sociales football club (2015) (2) résument bien les questions footballistiques qui peuvent être abordées par les différents champs de la Science économique : la théorie des jeux pour savoir où tirer un pénalty, l’économie psychologique pour savoir s’il faut s’élancer en premier lors d’une séance de tirs au but, les indices d’inégalité pour juger de l’équilibre compétitif des championnats, les modèles d’addiction rationnelle pour quantifier les dépenses des supporters et en analyser les déterminants spécifiques (la passion, l’incertitude du résultat, etc.)… La liste des sujets est longue et si le football peut être expliqué par la science économique, il constitue aujourd’hui à l’inverse, un véritable laboratoire, « terrain » d’expérimentations, pour comprendre l’économie.

Le football : ce jeu « noble » trop populaire pour les élites
En France, le football n’a jamais été un objet noble d’analyse pour les chercheurs en Sciences sociales. Outre le fait, comme l’a dit P. Bourdieu, que « parler de sport scientifiquement est difficile car, en un sens, cela est trop facile », les chercheurs ne s’y sont pas intéressés pour des questions de légitimité. Pour le football en particulier, cela est d’autant plus important qu’on retrouve à la fois l’opposition historique entre professionnalisme et amateurisme dont les élites en France ne se sont pas débarrassées au cours du 20e siècle, la vision marxiste de l’opium du peuple et un certain mépris des joies populaires. Aujourd’hui, cela est moins vrai, non seulement car la société a changé - les jeunes diplômés d’aujourd’hui sont plus enclins que ceux d’hier à s’intéresser au football – mais le football a également profondément évolué, souvent d’ailleurs sous le feu des critiques : avatar de la globalisation, symbole de la consommation de masse, illustration de la starisation des acteurs et des rémunérations « obscènes », etc. A tous ces sceptiques du ballon rond, à ceux qui se demandent encore comment il est possible de s’intéresser à la fois à Adam Smith et à Eric Cantona, la meilleure réponse est encore celle du même Shankly : « Certaines personnes pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je trouve ça choquant. Je peux vous assurer que c’est bien plus important que ça. » (3)

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(1) Ainsi, Pierre Desproges n’y va pas de main morte : « Voilà bien la différence entre le singe et le footballeur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s’abaisser à jouer au football »
(2) S. Kuper et S. Szymansky (2009) ; B. Drut et R. Duhautois (2015)
(3) En témoignent certains matchs internationaux « historiques » dont l’enjeu et les répercussions dépassaient la simple compétition : le match Salvador-Honduras en 1969, déclenchant la « guerre du football », le match RDA-RFA à la coupe du Monde 1974 pendant la guerre froide, le match Argentine-Angleterre en 1986 après la guerre des Malouines… Sans parler des rivalités entre clubs : en mai 1990, le match entre le Dynamo de Zagreb et l’Etoile rouge de Belgrade attisant encore un peu plus les rivalités entre croates et serbes, est considéré comme l’une des étincelles de la guerre en Ex-Yougoslavie.

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Cet article a également été publié sur le site « theconversation » le 30 sept. 2016.


ENTRETIEN. Jourdan 2016 : trois questions à Odile Hagenmüller et Thierry Van de Wyngaert

Odile Hagenmüller est Responsable du programme Jourdan pour la Région Ile-de-France (Maître d’ouvrage)
Thierry Van de Wyngaert est Architecte, co-fondateur avec Véronique Feigel du cabinet TVAA (Maître d’œuvre)
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Repères

  • 2007 : Lancement des études dites « de programmation »
  • 23 février 2017 : inauguration par François Hollande, Président de la République.
  • 49 millions d’Euros (TDC : Toutes Dépenses Confondues) : 31,5 M€ Région Ile-de-France, 14,5 M€ Etat, 3 M€ Mairie de Paris
  • 12 500 m2 : 6300 m2 PSE, 3900 m2 ENS, 2300 m2 communs (dont un amphithéâtre de 300 places, une bibliothèque SHS de 870 m2 avec plus de 50 000 volumes, une cafétéria...)
  • Près de 2000 usagers attendus : étudiants, enseignants-chercheurs et administratifs
  • Accéder à la photothèque #jourdan2016

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Quel est votre état d’esprit à quelques semaines de la fin des travaux ?

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Odile Hagenmüller : après une phase préparatoire essentiellement technique et administrative (2006-2011), le programme s’est accéléré depuis fin 2011, avec le choix du cabinet TVAA puis le démarrage effectif des travaux. Le budget de 49 M€ est respecté et le calendrier initial, particulièrement serré, glissera seulement de quelques jours. Nous sommes ravis ! Nous avons pu compter sur une vraie intelligence de tous les acteurs : une implication sans faille des architectes, des prestataires très professionnels, des futurs utilisateurs - PSE et l’ENS - qui nous ont accordé toute leur confiance, des financeurs engagés, et les propres exigences de la Région en termes de qualité et de rigueur dans la gestion de l’argent public.
Thierry Van de Wyngaert : je partage entièrement ce constat d’un projet qui a fédéré et enthousiasmé, et pourtant le défi était de taille ! Les spécifications et contraintes initiales de l’appel à projets étaient dantesques, et l’ambiance « campus » vraiment originale. Comment préserver ce charme et accueillir près de 2000 personnes sur le tiers d’une parcelle elle-même relativement modeste ? De notre proposition initiale jusqu’aux derniers ajustements, nous avons conservé toutes les lignes maîtresses : indépendance mais connexion des deux établissements, un rez-de-chaussée transparent, accessible et central dans la distribution des flux, un socle en volume permettant de soulever voire d’alléger les étages supérieurs. Il fallait aussi inclure le bâtiment dans son îlot végétal et les pavillons existants, tout en proposant une identité forte, notamment au croisement Jourdan/Tombe-Issoire (1).

Deux enjeux vous ont spécialement occupé : les performances environnementales et les « comportements » des futurs occupants
TVW : effectivement, et notre métier d’architecte se confronte ici à des questions structurelles. Comment trouver l’équilibre entre les grandes surfaces vitrées captant l’éclairage naturel et une gestion raisonnée de la thermie ? Les technologies utilisées, en domotique notamment, doivent-elles refléter l’excellence universitaire du lieu ? A l’image d’une communauté monastique, comment créer des zones de rencontres et de vie collective - grand « patio rouge », passerelles, balcons … - et des endroits de calme et de travail - bureaux, bibliothèque… ?
OH : de notre côté, nous tenions à ce que le campus soit facile à entretenir, à utiliser, tout en étant adapté aux habitudes des chercheurs et étudiants en SHS, qui doivent pouvoir autant converger que s’isoler. Et bien sûr, les préoccupations environnementales occupent une place centrale, les ambitions initiales ne devant pas se diluer au fil des étapes. Ce volontarisme a un coût, mais la Région souhaite obtenir une certification NF-HQE pour Jourdan et a optimisé toutes les consommations futures du bâtiment : chauffage, éclairage, ventilation, récupération des eaux de pluie... Aujourd’hui deux audits - programmation, conception - sur trois ont été validés. L’évaluation finale est à venir courant 2017 et engagera les usagers à se responsabiliser au maximum.
TVW : les brises-soleils sont un exemple parfait de tout cela, avec des matériaux nobles mais un choix final « low tech » permettant à chaque bureau de gérer manuellement leur orientation, et ainsi la luminosité et la chaleur.

Ce bâtiment est-il, pour vous, particulier ?
OH : j’ai eu la chance de conduire une cinquantaine de projets pour le compte de la Région, et ici comme ailleurs la crainte des défaillances, malfaçons, surcoûts et retards est permanente. Mais notre vigilance collective est notre meilleur gardien. De nombreux espaces me plaisent beaucoup et si nous faisons tout pour objectiver le processus, nous savons bien qu’in fine chacun-e exprimera son ressenti : j’espère qu’il sera le plus positif possible, et que toute l’expertise mise par les équipes dans ce lieu se transformera en bien-être pour les usagers.
TVW : à l’approche de la fin du chantier, je sens une vraie fierté collective, et une impatience « positive ». J’aime la façon dont s’articulent les éléments dans ce projet : rue/jardin, décrochés/volumes, végétal/minéral… Au-delà de nos clins d’œil architecturaux - le vitrage courbe « années 30 » de la cafétéria, l’escalier extérieur conique rappelant les châteaux d’eau construits par TVAA… - il nous semblait fondamental de proposer un lieu fort, que chaque génération s’appropriera avant de le transférer à la suivante. L’avenir nous dira si ce pari est réussi !

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(1) Le croisement Jourdan/Tombe-Issoire regroupe trois « citations » architecturales : un garage Citroën de style « fonctionnaliste » des années 30, des logements sociaux HBM qui font directement référence aux constructions d’entre-deux-guerres (qui ont remplacé les anciennes fortifications), et enfin le Collège Néerlandais de la CIUP conçu par Willem Marinus Dudok (sa seule œuvre en France) inauguré en 1938.

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