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Mobilité : comment un nouvel algorithme pourrait bénéficier à des centaines d’enseignants chaque année

Par Olivier Tercieux, Chaire associée à PSE, chercheur au CNRS

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Ces dix dernières années, la profession d’enseignant en France semble avoir connu une importante désaffection. Le nombre de candidats passant une épreuve écrite pour un des concours de recrutement a connu une baisse d’environ 60%. Les postes proposés aux concours de recrutement dans certaines disciplines (Langues, Lettres, Mathématiques,…) ne parviennent plus à être pourvus. De ce fait, une inquiétude peut-être légitime gagne le ministère de l’éducation sur l’évolution de la qualité des enseignants dans les années à venir (1). De nombreux facteurs explicatifs existent, mais l’appréhension suscitée par les perspectives de mobilités géographiques semble essentielle. D’après le rapport 2013 de l’IGAENR (2) sur les difficultés de recrutements des enseignants, les étudiants jugent très clairement dissuasive la mobilité (ou l’immobilité) imposée par le système d’affectation actuel. En effet, très souvent, les nouveaux enseignants titulaires obtiennent une première affectation dans une école « difficile ». Par la suite, la mobilité n’est pas aisée et impose très fréquemment un éloignement durable aux régions d’attache (où résident familles, conjoints, enfants…). Ce dernier problème est de plus en plus marqué. En particulier, le pourcentage d’enseignants titulaires obtenant satisfaction à la suite d’une demande de changement de département/académie dans le premier ou second degré diminue depuis 2000, avec une chute de près de 40% pour le premier degré sur les cinq dernières années (moins d’un quart des demandes sont aujourd’hui satisfaites). Si remplacements et départs en retraite déterminent en partie ce taux de mobilité, dispose-t-on d’autres leviers pour améliorer la situation actuelle ?
Pour un enseignant souhaitant obtenir une mutation sur un autre poste, deux options sont imaginables. Comme nous venons de l’évoquer, il pourrait obtenir sa mutation simplement par la libération ou l’ouverture de postes dans l’académie ou l’école qu’il vise. Par ailleurs, cet enseignant pourrait aussi obtenir satisfaction en « échangeant » l’affectation qu’il a dans son école actuelle avec l’affectation d’un enseignant de l’école où il souhaite être affecté (si ce dernier souhaite en faire autant). A priori l’importance de ce type d’échange peut paraître de second ordre si les enseignants ont des préférences similaires, mais les décisions de réaffectations se faisant au niveau de toute la France, les enseignants ont des préférences relativement hétérogènes et la « coïncidence des besoins » n’est en fait pas si rare... Dans un travail joint avec Julien Combe et Camille Terrier « The Design of Teacher Assignment : Theory and Evidence », nous proposons une procédure d’affectation mettant en œuvre un algorithme qui – étant donnés les souhaits manifestés par les enseignants – repère systématiquement les échanges potentiels. L’algorithme est inspiré de travaux antérieurs (3) sur la réaffectation d’objets dans des environnements sans transfert monétaire mais il s’en distingue de façon essentielle puisque – afin de décider si un échange doit être autorisé - il se réfère à des critères normatifs reflétés par un « système de priorité » mis en place par le ministère. Les critères sont nombreux mais témoignent par exemple de la volonté de rapprocher les enseignants de leurs familles (conjoints et/ou enfants) ou d’éviter que le nombre d’enseignants expérimentés ne décroisse trop dans certaines écoles. Notre procédure réalise uniquement les échanges de postes qui assurent une nouvelle allocation des enseignants autant ou plus en adéquation avec les critères normatifs du ministère.
Nous avons évalué empiriquement la procédure que nous recommandons par rapport à celle utilisée à l’heure actuelle, et ce pour les enseignants du second degré qui demandent à changer d’académie. Nous montrons qu’une partie importante du manque de mobilité vient de la difficulté de la procédure actuelle à mettre en œuvre ces échanges entre enseignants. Ainsi, en 2013, ladite procédure permettait de réaliser uniquement 5% des demandes par le biais d’échanges. Notre procédure alternative permet de multiplier par trois le nombre d’échanges réalisés (4). Ainsi, sur l’année 2013, en se focalisant uniquement sur les possibilités d’échanges entre enseignants, environ 1000 enseignants titulaires supplémentaires (sur 10000) auraient pu voir leurs demandes satisfaites si notre procédure avait été utilisée. Ce travail permet donc d’identifier une alternative à la situation existante et pourrait contribuer à atténuer un des facteurs de la désaffection pour la carrière d’enseignant.
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(1) Les taux d’abandon et de rotation sont également élevés, en particulier dans les écoles en éducation prioritaire. Dans beaucoup d’autres pays, comme aux Etats-Unis, un problème similaire se pose (Ingersoll (2001) et http://hechingerreport.org/half-teachers-leave-job-five-years-heres/).
(2) Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche
(3) Cette procédure est inspirée de celle de Shapley et Scarf (1974) pour la réaffectation d’objets dans une économie sans transfert
(4) Nous montrons aussi que c’est le maximum que nous pouvons envisager pour des procédures respectant les critères normatifs du ministère et qui sont non-manipulables
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Références :
Ingersoll, R. (2001). “Teacher Turnover and Teacher Shortages : An Organizational Analysis” American Educational Research Journal.
Shapley L. et H. Scarf. (1974). “On Cores and Indivisibility” Journal of Mathematical Economics.