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(n°2) Connaissez-vous ce graphique ?

Réduction du temps de travail et bien-être des travailleurs

Par Anthony Lepinteur (PSE)

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2msR1tA

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Les politiques de réduction du temps de travail, généralement associées à la volonté de lutter contre le chômage, peuvent également avoir des effets sur le bien-être des travailleurs. Sont-ils plutôt positifs, ou plutôt négatifs ? Les hypothèses sont multiples. Instaurer des semaines de travail plus courtes à salaires constants et augmenter le temps dévoué aux loisirs peuvent sembler être des sources évidentes d’amélioration du bien-être des travailleurs. Cependant, réduire le temps de travail entraîne aussi des réorganisations majeures des processus de production dont les effets en termes de bien-être peuvent s’avérer négatifs. Ainsi, il paraît difficile d’établir une réponse claire sur les effets nets attendus d’une réduction du temps de travail sur le bien-être des travailleurs.

Anthony Lepinteur a spécifiquement étudié cette question à travers les exemples français et portugais, pays dans lesquels des politiques de réduction du temps de travail ont été menées respectivement à partir de 2000 et 1996.
En mobilisant des données du Panel Communautaire des Ménages (1), ce graphique illustre la réponse fournie en France dans le cas des 35 heures. Au sein du secteur privé, cette réforme a d’abord été appliquée dans les entreprises de plus de 20 salariés en 2000 puis dans les plus petites entreprises en 2002. Cette mise en œuvre séquentielle permet donc de comparer l’évolution réelle du degré de satisfaction concernant le travail (courbe bleue en trait plein) et les loisirs (courbe rouge en trait plein) au sein des grandes entreprises affectées par les 35 heures à leur évolution naturelle en l’absence de réforme (courbe bleue et rouge en traits pointillés), calculée à partir des petites entreprises non-affectées entre 2000 et 2001 et en considérant que l’évolution des indices de satisfactions des travailleurs aurait été la même dans les grandes et petites entreprises.

Le constat est clair : les 35 heures ont généré des améliorations du bien-être cognitif (2) des travailleurs, symbolisées par l’écart entre les courbes en trait plein et les courbes en traits pointillés. La réduction du temps de travail en France s’est traduite par une hausse de 0.1 point de satisfaction concernant le travail, sur une échelle de 1 à 6. A titre d’exemple, cette hausse équivaut à l’effet produit par une promotion (3). Les conclusions issues du cas français se trouvent être confirmées par l’observation de hausses similaires du bien-être au Portugal suite à la politique de réduction du temps de travail de 1996. Mais l’auteur souligne que ces gains n’ont pas bénéficié de manière égale à tous les travailleurs. Les hausses de satisfaction concernant le travail ont par exemple été plus élevées dans le secteur industriel. Les hommes en ont également bénéficié plus que les femmes. Pouvons-nous expliquer ces différences par des réductions de temps de travail plus importantes, ou par des évolutions de salaires plus favorables dans les activités industrielles ou pour les hommes ? L’analyse des données tend à infirmer ces hypothèses et de nouvelles sources d’hétérogénéité doivent être envisagées et étudiées. Ainsi, si l’ensemble des travailleurs affectés par les 35 heures déclare être en moyenne plus satisfait de leur nombre d’heures de travail, seuls les hommes et les travailleurs du secteur industriel se déclarent aussi plus satisfaits par leurs conditions de travail suite aux 35 heures. Afin de produire des améliorations substantielles de bien-être au travail, réduire le temps de travail inconditionnellement n’est pas suffisant. Il est crucial de veiller à ce que l’évolution des conditions de travail qui l’accompagne ne soit pas défavorable aux travailleurs.

(1) http://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/microdata/european-community-household-panel
(2) Le bien-être cognitif, où l’on demande aux gens de réfléchir à une dimension de leur vie et de donner une note, se distingue du bien-être émotionnel, où l’on demande aux gens de rapporter s’ils ont ressenti du stress, de l’anxiété ou de la joie la vieille per exemple
(3) Clark, Andrew and Conchita D’Ambrosio (2015) “Good, Better, Best. The Social Context of Labor-Market Success”


Sources