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Inégalités de patrimoine entre générations : les donations aident-elles les jeunes à s’installer ?

Luc Arrondel, Bertrand Garbinti et André Masson

En France, l’écart de patrimoine s’accroît entre les plus âgés et les plus jeunes qui, par ailleurs, héritent de plus en plus tard (environ 51 ans aujourd’hui contre 42 ans en 1984). Si bien que l’héritage intervient souvent à un âge où l’on se soucie davantage de sa retraite que l’on ne s’installe dans la vie. Différentes mesures fiscales ont tenté de pallier ce déséquilibre intergénérationnel. En 2007, par exemple, l’abattement sur les transmissions patrimoniales vers les enfants a été multiplié par trois et porté à 150 000 euros - ramené depuis à 100 000 euros (1). En France les transmissions patrimoniales, notamment inter vivos, sont de plus en plus nombreuses : selon l’Insee, parmi les ménages ayant des enfants adultes, 9 % en 1992, 13 % en 2004 et 15 % en 2010 ont effectué des donations. Cette pratique dépend cependant beaucoup du niveau de richesse et de la catégorie socio-profesionnelle : elle est d’environ 6 % dans le quartile le plus pauvre pour atteindre près de la moitié des parents dans le centile le plus élevé ; près de 40 % des ménages agriculteurs y ont recours, autour de 20 % pour les autres indépendants et les cadres, mais moins de 10 % chez les employés et les ouvriers. Les séries historiques comme les études économétriques montrent que les parents sont sensibles aux avantages fiscaux accordés aux donations. On peut néanmoins s’interroger sur l’impact de telles mesures fiscales sur leurs bénéficiaires : comment les donations, notamment précoces, sont-elles utilisées ?
Dans cet article, Luc Arrondel, Bertrand Garbinti et André Masson s’appuient sur les données les plus récentes de l’enquête Patrimoine de l’Insee (2009-2010). Elles permettent d’étudier l’impact des différentes formes de transmissions entre vifs ou au décès sur deux facettes clefs des comportements des jeunes générations : l’achat de la résidence principale et la création d’entreprise. La probabilité de créer ou reprendre une entreprise est plus élevée lorsqu’une donation a été reçue (entre vifs) mais ne l’est pas si un héritage a été perçu (en cas de décès). En revanche la probabilité d’acheter sa résidence principale augmente avec ces deux formes de transfert. L’intensité du lien entre transmissions et investissements varie avec certains facteurs : il est notamment plus fort lorsque le bénéficiaire du transfert est plus jeune. Concernant l’achat immobilier, la hausse des prix des années 2000 se serait accompagnée d’un renforcement du lien entre donation et achat du logement. L’effet proprement causal de la donation pose cependant question : cette dernière favorise-t-elle la décision d’acquisition du logement ou accompagne-t-elle une décision d’achat déjà formée ? Le rôle de la donation sur les comportements des enfants s’avère cependant encore plus fort lorsqu’on tient compte statistiquement de cette causalité inverse.
(1) En 2007, les donations de plus de 6 ans n’ont plus été rapportées aux montants des successions - depuis le délai de non-rappel est revenu à 15 ans
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Titre original de l’article : Inégalités de patrimoine entre générations : les donations aident-elles les jeunes à s’installer ?
Publié dans : INSEE, Economie et statistiques, décembre 2014 - n°472-473
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