La science économique au service de la société

Comment dépasser les limites de la théorie des choix rationnels ?

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Franz Dietrich et Christian List

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La théorie des choix rationnels, en économie, consiste à expliquer et à prédire le comportement des individus (c’est du moins ce qu’elle prétend). Mais y parvient-elle ? Ce résumé d’article adopte une approche originale et essaie de susciter la curiosité en expliquant ce qui a motivé les auteurs à réaliser ces recherches, et termine par une brève partie sur leurs conclusions. Supposons un monde simple et sans incertitude. Dans un tel monde, l’approche classique attribue à l’agent une relation de préférence par rapport aux options dont il dispose - et prend cette relation de préférence pour expliquer, prédire et rationaliser les choix de l’agent dans un sens bien défini : dans chaque contexte de choix, l’agent en question choisit l’option qui a sa préférence parmi les options possibles. Bien qu’élégante et influente, cette approche pose trois problèmes fondamentaux. Tout d’abord, elle soulève un problème empirique : en effet, l’approche classique ne peut pas accommoder tous les schémas de choix empiriquement répertoriés. Les psychologues et les économistes comportementaux ont amplement démontré que les individus font des choix d’une manière qui ne peut être rationalisée par une relation de préférence d’options (sauf trivialement en reprécisant les options possibles à chaque fois qu’il est nécessaire). Par exemple, les individus sont sensibles aux effets de cadrage ou se contentent d’une option « suffisamment bonne » plutôt que de choisir l’option « optimale ». L’approche classique pose ensuite un problème explicatif : même si une certaine relation de préférence d’options rationalise les choix d’un agent, on peut se demander si elle peut être considérée comme une véritable « explication » de ces choix. En effet, une explication est fondamentalement une réponse à une question, c’est à dire à un « pourquoi ? ». Si l’on suit les adeptes des préférences dites révélées, le sens de ces dernières est ramené aux seuls choix et elles ne peuvent donc pas aussi expliquer ces choix : ce serait alors un raisonnement circulaire, où des choix seraient expliqués par des choix. Si l’on suit une approche plus psychologique des préférences, des limites existent également. Supposons que l’on demande à une personne : « Pourquoi avez-vous choisi la carrière universitaire plutôt que la banque ? ». La réponse « parce que je préfère l’une à l’autre » n’est pas très éclairante. On s’attend à ce que cette personne donne ses raisons, comme le soulignent depuis longtemps les philosophes et les psychologues. Par exemple, ce choix pourrait être le résultat d’un milieu universitaire perçu comme promouvant l’indépendance et le savoir et d’un secteur bancaire marqué par l’appât du gain ; la personne interrogée classerait ainsi le premier ensemble de caractéristiques avant le second. Enfin, l’approche classique pose un troisième problème dit « prédictif » car elle est en réalité limitée dans sa capacité à prédire les choix futurs d’un individu. Si l’on attribue simplement une relation de préférence à l’agent, sur la base de ses choix passés, il est possible de prédire les choix futurs seulement dans des cas particuliers : à savoir lorsque cette relation de préférence classe déjà les options dont dispose un agent. Ce n’est le cas que lorsque l’agent a déjà été confronté aux mêmes options (sauf s’il est possible d’extrapoler les préférences de l’agent). L’appareil classique de la théorie du choix rationnel souffre d’une identification implicite de deux choses qui sont fondamentalement distinctes : ce qui a été observé et ce qui doit être prédit. Ces deux éléments sont regroupés dans le même objet qui est la fonction de choix (choice fonction). Le dilemme est que si cette fonction capte effectivement les choix, alors la rationalisation par une relation de préférence permet uniquement de prévoir cette même fonction observée : le chercheur est « post-dictif » et non « pré-dictif ».

Pour résoudre ces trois problèmes, Franz Dietrich et Christian List développent un nouveau cadre « fondé sur la raison » pour expliquer et prédire les choix individuels. Dans ce cadre, le décideur se concentre sur certaines propriétés des options (mais pas toutes) et choisit l’option dont le caractère motivé est particulièrement saillant et ayant sa préférence. Les auteurs cernent deux types de choix dépendants du contexte : d’une part, les propriétés dont les motivations étaient particulièrement appuyées peuvent varier selon les contextes de choix et, d’autre part, elles peuvent inclure des propriétés contextuelles, et pas seulement des propriétés intrinsèques des options. Le cadre adopté par les auteurs leur permet d’expliquer des comportements délibérément rationnels et complexes. Puisque les propriétés peuvent être recombinées de différentes (et nouvelles) façons, elles offrent des ressources permettant de prédire les choix dans des contextes non observés. Les implications choix/comportement des explications « fondées sur la raison » sont analysées à travers quatre théorèmes qui précisent les conditions nécessaires et suffisantes à l’existence d’une explication fondée sur la raison des choix. Dans un autre théorème, les auteurs présentent les conditions suffisantes pour la pertinence des prévisions fondées sur la raison.


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Titre original de l’article académique : “Reason-based choice and context-dependence : an explanatory framework”
Publié dans : Economics and Philosophy, 2016
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