La science économique au service de la société

Sur l’aversion au délai

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2kPpX6Z

Lorenzo Bastianello et Alain Chateauneuf

JPEG - 99.5 ko

« Un ‘aujourd’hui’ vaut deux ‘demains’ » (1). Cette phrase résume très bien l’idée sous-tendant le travail de Paul Samuelson, qui formalisa, en 1937, le concept d’impatience pour un agent économique. Dans la littérature, l’hypothèse standard est que les agents préfèrent une consommation immédiate (et donc une utilité immédiate) à une plus tardive ou « différée » : on dit alors qu’ils sont « averses au délai » (delay averse). Un agent impatient donne une valeur décroissante aux périodes futures, ou, en d’autres termes, il applique un facteur d’escompte sur le futur. Considérons le problème d’un planificateur social qui doit décider comment partager un revenu, ou un bien de consommation, entre des générations futures. Il est possible de montrer que, si le planificateur escompte l’avenir comme dans le modèle de Samuelson, il est myope. Il néglige alors une augmentation de revenu accordée à toutes les générations si cette augmentation commence trop loin dans l’avenir. Concrètement, imaginons un décideur qui n’adopte pas une politique qui permettrait d’améliorer la vie de tous les gens nés après 2050, au seul prétexte que les individus actuels et leurs enfants ne bénéficieraient pas directement de cette politique. De toute évidence, un tel comportement peut être difficile à accepter.

Dans cet article théorique, Lorenzo Bastianello et Alain Chateauneuf s’éloignent du modèle d’utilité escomptée et analysent deux définitions comportementales de l’impatience, dans plusieurs modèles de décision (qui sont des généralisations du modèle d’utilité escomptée de Samuelson). La première définition postule qu’un agent est averse au délai sur le long-terme s’il préfère toujours un petit montant de revenu supplémentaire à un plus grand, si ce dernier est payé trop loin dans le futur. La deuxième définition exprime l’idée suivante. Un agent est averse au délai sur le court-terme si, à chaque fois qu’on lui demande de choisir entre deux paiements égaux versés à deux dates consécutives, il choisit toujours le paiement le plus proche temporellement. Les modèles utilisés dans cet article se révèlent être des outils puissants permettant de généraliser la notion de ’poids’ qu’un décideur (ou un planificateur social) attribue à des dates différentes. Par exemple, ces modèles permettent de décrire des comportements « non myopes » et d’étudier les deux déclinaisons de l’aversion au délai définies ci-dessus. La première définition clarifie le résultat d’impossibilité suivant : un planificateur social ne peut pas avoir des préférences strictement monotones et en même temps traiter toutes les générations de manière égale. En fait, monotonie forte et aversion au délai sur le long-terme sont étroitement liées. Par conséquent, puisque ce dernier concept représente une forme (faible) d’impatience, une génération qui est trop éloignée dans l’avenir, ne sera pas considérée comme aussi importante qu’une génération plus proche du présent. La deuxième définition s’avère être la contrepartie comportementale de la notion d’impatience donnée par Irving Fisher dans les années 1930. Un agent est impatient « à la Fisher » si et seulement s’il a un taux marginal de substitution inter-temporel toujours supérieur à 1. Dans cet article, les auteurs montrent que cette condition est équivalente à l’aversion au délai de court-terme.

(1) Voir Brown and Lewis, Econometrica, 1981


......................
Titre original de l’article académique : “About delay aversion”
Publié dans : Journal of Mathematical Economics, Elsevier, 2016, 63, pp.62-77.
Téléchargement : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01302543/

......................
© zhengzaishanchu - Fotolia.com