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Un Etat serait-il prêt à organiser ses opérations militaires en fonction de « l’intensité médiatique » ? Le cas du conflit israélo-palestinien à travers les médias américains

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2i2whnT

Ruben Durante et Ekaterina Zhuravskaya

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Les gouvernements sont tenus responsables de leurs choix dans la mesure où les citoyens disposent des informations relatives aux politiques menées. Les médias prennent part à cette équation en informant le plus grand nombre des actions gouvernementales. Pourtant, cette mission peut être parasitée par le suivi d’autres événements suscitant davantage l’intérêt des médias. Afin de minimiser leur publicité négative, les décideurs publics peuvent planifier stratégiquement le moment de leurs actions impopulaires afin qu’elles coïncident avec d’autres événements qui détournent l’attention des médias et du public.

Dans cet article, Ruben Durante et Ekaterina Zhuravskaya étudient, de manière empirique, cette question du timing d’actions stratégiques potentiellement impopulaires. Ils s’intéressent spécifiquement au calendrier des attaques menées dans le cadre du conflit israélo-palestinien, en utilisant des séries chronologiques de données quotidiennes portant d’une part sur l’occurrence et la gravité des opérations militaires israéliennes en Cisjordanie (« West-Bank ») et dans la bande de Gaza, et d’autre part sur les attaques de groupes militants palestiniens sur le territoire israélien entre 2000 et 2011. Ces données sont comparées à des statistiques d’événements qui ont particulièrement intéressé les médias américains, cette mesure étant appelée « intensité médiatique ». Les auteurs décomposent les liens - qui s’avèrent significatifs - entre la probabilité d’attaques militaires mortelles menées par les forces israéliennes contre les Palestiniens (ainsi que le nombre de victimes) et le niveau d’intensité médiatique le lendemain de ces attaques. En revanche, les auteurs n’identifient pas de liens entre les attaques menées par les Palestiniens et l’intensité médiatique aux Etats-Unis. Ces résultats suggèrent que les autorités israéliennes pourraient choisir stratégiquement le moment de leurs attaques afin de minimiser leur écho négatif aux Etats-Unis. Cette intensité médiatique pourrait toutefois être endogène au conflit israélo-palestinien, car les couvertures médiatiques outre-Atlantique et les actions militaires israéliennes pourraient être conjointement déterminées par des facteurs non étudiés, comme des événements majeurs au Moyen-Orient par exemple. De plus, de nombreuses actualités incluses dans cet indicateur se réfèrent à des événements imprévisibles, pour lesquels le créneau des attaques ne pouvait pas être programmé. Pour aborder ces deux questions, R. Durante et E. Zhuravskaya compilent une liste d’événements tirés des calendriers politiques et sportifs prévisionnels américains. Ils créent alors un outil mesurant l’occurrence d’événements « prévisibles » qui ne sont pas associés à la politique étrangère et qui sont, de façon significative, liés à l’intensité médiatique. Les auteurs soulignent tout d’abord que les attaques israéliennes sont, de façon marquée, plus susceptibles de se produire en même temps que ces événements. Ces estimations impliquent également que les dirigeants israéliens sont prêts à annuler une opération plutôt « marginale » un jour donné s’ils s’attendent à ce que la couverture médiatique de cette attaque - si elle a lieu - soit dans les 20% des informations (post-opérations) les plus relayées dans les médias. Ils montrent également que les attaques moins coûteuses à décaler et qui sont susceptibles de générer une publicité négative en raison du risque accru de victimes civiles, comme par exemple des attaques avec des armes lourdes, sont planifiées afin de minimiser leur couverture médiatique. Enfin, les auteurs s’intéressent au mécanisme à l’œuvre derrière ce « calendrier stratégique ». Ils constatent que la nature de la couverture médiatique des attaques israéliennes diffère considérablement entre le jour même de l’attaque et le jour suivant. En particulier, les reportages diffusés le lendemain sont beaucoup plus susceptibles de présenter des histoires personnelles sur les victimes civiles et de montrer des images émotionnellement chargées (1) qui augmentent l’impact négatif de ces actions dans le public. Les auteurs observent ainsi que la stratégie d’Israël vise également à minimiser la couverture médiatique au lendemain des attaques.

(1) Les reportages « du lendemain » tendent à inclure davantage de témoignages et interviews des familles et amis des victimes, des images de processions funéraires et de scènes de deuil.

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Titre original de l’article académique : “Attack When the World Is Not Watching ? U.S. News and the Israeli-Palestinian Conflict”
Publié dans : Prochainement publié dans le Journal of Political Economy
Téléchargement : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2566741

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