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Un nouvel équilibre « prudent » de Nash

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2hKc1d6

Philippe Bich

Un équilibre de Nash est communément décrit comme une situation où chacun choisit une stratégie optimale « étant données les stratégies des autres ». Par exemple, si tous les conducteurs sur une route française se mettent à conduire à gauche, cela constitue un équilibre de Nash : aucun conducteur, sachant que les autres conduisent à gauche, n’a intérêt à dévier pour conduire à droite. Un équilibre de Nash ne représente pas forcément une situation optimale globalement (dans l’exemple précédent, conduire à droite sur la route est un équilibre qui semble meilleur que conduire à gauche, puisque non délictueux !), mais c’est une situation optimale individuellement - si l’on fige les stratégies des autres. Cependant, deux problèmes majeurs se posent avec cette notion. Premièrement, elle nécessite que les stratégies de chaque agent soient connaissance commune : c’est-à-dire que chacun suppose que les autres jouent cette stratégie, mais aussi que les autres agents sachent que les autres anticipent ceci et ainsi de suite (1). Ainsi, sur la route, mon attitude pourrait changer si je crains que n’importe quel conducteur dévie, auquel cas il peut même être rationnel de ne pas conduire. Deuxièmement, il peut y avoir plusieurs équilibres de Nash, et il semble légitime de se demander comment les comportements des agents vont se coordonner sur le « bon » équilibre (par exemple, les règles de conduite française sont un moyen institutionnel d’inciter fortement les conducteurs à choisir l’équilibre conduire à droite).

Dans ce papier théorique, Philippe Bich présente une nouvelle notion d’équilibre appelée « équilibre prudent » qui fournit une réponse, bien que partielle, aux deux objections ci-dessus. Cette notion permet de traduire l’hypothèse plus réaliste qui veut que nous n’anticipions pas toujours un comportement rationnel chez les autres individus, et cela à des degrés divers. Un paramètre de prudence de chaque agent est introduit, et peut varier d’une défiance totale (correspondant à une prudence infinie) à une confiance totale (prudence nulle) à l’égard de la rationalité des autres. Cette notion permet également d’affiner la notion d’équilibre de Nash. Dans de nombreux modèles classiques en économie (2), plusieurs équilibres sont possibles, ce qui rend le caractère prédictif du modèle plus fragile (quel équilibre choisir ?). Or, l’auteur montre, à travers plusieurs exemples que parmi ces équilibres, un seul est prudent, tel que décrit ci-dessus. Cet équilibre prudent fournit une prédiction du comportement des individus. Par exemple, considérons deux acheteurs qui enchérissent sous pli cacheté pour acquérir un Monet lors d’une enchère dite au premier prix (i.e. le tableau est attribué au mieux offrant). Les acheteurs évaluent à des prix différents le tableau, et chacun est supposé avoir une idée de l’évaluation de son concurrent. La notion d’équilibre prudent fournit alors la prédiction « intuitive » d’une enchère finale proche de la valeur minimale, alors que l’équilibre de Nash échoue à fournir une prédiction.
(1) Menant in fine à un équilibre rationalisable
(2) Modèles d’enchères, de compétition à la Bertrand ou à la Cournot, modèles de localisation à la Hotelling

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Titre original de l’article académique : « Prudent Equilibria and Strategic Uncertainty in Discontinuous Games »
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