La science économique au service de la société

Efficience versus stéréotypes : une expérimentation sur la production domestique

Hélène Couprie, Elisabeth Cudeville et Catherine Sofer

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La plupart des modèles économiques d’économie de la famille font l’hypothèse que les décisions qui y sont prises sont « Pareto-optimales ». Cependant, de nombreux résultats empiriques conduisent à mettre en doute cette hypothèse. Malgré l’arrivée massive de femmes sur le marché du travail, le partage du temps dans les couples entre travail marchand et travail domestique reste, en effet, hautement différencié selon le genre. Et cette différenciation semble aller bien au-delà de ce que dicterait la seule recherche d’efficience (i.e « choix du coût minimum compte tenu des différences de salaire et de productivité »). Or, si des stéréotypes de genre sont bien à l’œuvre dans le partage des tâches domestique, réaliser l’égalité hommes/femmes implique d’aller plus loin que la levée des barrières à l’égalité sur le marché du travail, par exemple, en menant des politiques plus volontaristes (1). La principale difficulté rencontrée dans la mise en évidence de ce phénomène est l’impossibilité, dans l’état actuel des données, de mesurer empiriquement la productivité du travail domestique. En effet, si l’on connaît maintenant relativement bien, grâce aux enquêtes d’emploi du temps, le temps passé par chaque partenaire, les mesures permettant d’estimer la productivité manquent, car ni la valeur des biens marchands utilisés ni les quantités produites par le travail domestique ne sont disponibles dans les enquêtes.
Dans cet article, Hélène Couprie, Elisabeth Cudeville et Catherine Sofer analysent les résultats d’une expérience menée en laboratoire d’économie expérimentale sur des couples. Plus précisément, elles étudient l’efficience des individus et les « déviations » potentielles, c’est-à-dire le nombre et la direction des choix inefficients observés. Le but de l’expérience est de faire exécuter aux participants des tâches aussi proches que possible des tâches domestiques symboliquement « genrées ». Les chercheures examinent la façon dont ils se répartissent les tâches, sachant qu’il est possible, dans le cadre d’une expérience, de mesurer la productivité de chacun, de fixer le coût du temps (loisir/productif) et de tester l’efficience du partage (2). Les activités choisies sont relatives au linge (trier des chaussettes) et au bricolage (fixer des équerres de métal). Les résultats montrent que les partenaires dévient en effet sensiblement plus de l’efficience dans le partage des tâches « genrées » que dans le partage de tâches neutres, et qu’ils dévient bien dans le sens des stéréotypes de genre. Dit autrement : lorsque l’homme (ou la femme) s’avère relativement plus efficace dans une tâche plutôt vue comme féminine (respectivement masculine), le choix de répartition tend à se porter tout de même vers la femme (l’homme). Les auteurs testent par ailleurs, grâce à des questionnaires, le fait que cette déviation n’est pas due aux différences dans les préférences, mais est bien plutôt liée à des stéréotypes, entendus ici au sens de fausses croyances sur la productivité de chacun(e).
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(1) Par exemple les évolutions relatives au congé paternité
(2) A partir d’un modèle ricardien d’avantage comparatif
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Titre original de l’article académique : “Efficiency versus Stereotypes : an Experiment in Domestic Production”
Publié dans : Documents de Travail CES n° 2015.25
Téléchargement : ftp://mse.univ-paris1.fr/pub/mse/CES2015/15025.pdf
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