La science économique au service de la société

La TVA sur les biens de première nécessité devrait-elle être moins lourde que celle qui pèse sur les biens de luxe ?

Stéphane Gauthier et Fanny Henriet

JPEG - 60.9 ko

Des considérations d’équité nous conduisent-elles à appliquer des taux plus élevés aux biens qui sont consommés par les plus riches ? Pourquoi ne pas simplement taxer le revenu des plus riches pour financer des transferts vers les plus pauvres ? La recherche portant sur la forme optimale que devrait revêtir notre fiscalité a identifié un rôle particulier de l’impôt sur la consommation. Ce rôle n’est pas facile à saisir parce qu’il implique les choix de consommation qu’auraient certaines catégories d’assujettis si leur revenu était différent de celui qu’ils perçoivent effectivement. Considérons un transfert de revenu d’un ménage riche vers un ménage plus pauvre. Ce transfert rend moins rentable l’effort fourni par le premier pour percevoir un revenu élevé. Ce ménage va relâcher son effort et son revenu imposable va diminuer. Si la puissance publique pouvait identifier et taxer lourdement les biens consommés par ce ménage lorsqu’il relâche son effort, elle pénaliserait ceux qui consomment les biens plus lourdement taxés. Mais elle découragerait aussi un relâchement de l’effort, ce qui permettrait d’accroître le revenu que l’on peut redistribuer. Pour prendre un exemple, l’application du taux normal de TVA à la fourniture de repas dans les cantines scolaires se justifie dans l’hypothèse où les enfants des familles les plus pauvres tendent plutôt à déjeuner chez eux, alors que les plus riches laisseraient leurs enfants à la cantine s’ils décidaient de travailler moins.
Dans cet exemple, la fiscalité sur la consommation dépend de l’hétérogénéité des goûts pour les biens de consommation entre les différentes classes de revenu. Stéphane Gauthier et Fanny Henriet se concentrent au contraire sur les différences qui subsistent entre des ménages qui ont le même revenu. Elle est sans doute en partie observable par la puissance publique, qui connaît la composition du foyer fiscal, l’âge de l’assujetti, sa catégorie socio-professionnelle ou la région dans laquelle il habite. Mais il est vraisemblable que subsiste une hétérogénéité plus difficilement observable à laquelle les impôts et transferts de revenu ne peuvent pas être conditionnés. Au travers du quotient familial de l’impôt sur le revenu, un jeune adulte vivant chez ses parents est par exemple traité comme celui qui a quitté leur domicile. Les auteurs se réfèrent à cette hétérogénéité inobservable comme relevant des « goûts » pour la consommation. Ils montrent que la TVA devrait être moins élevée sur les biens qui sont préférés par ceux qui ont des « goûts » que la société désire défendre : les biens consommés par de jeunes adultes vivant chez leurs parents pourraient être plus taxés que les services de logements sociaux consommés par ceux qui vivent seuls. On retrouve par ce biais une considération d’équité dans la fiscalité sur la consommation, même si l’on peut mobiliser l’impôt sur le revenu pour redistribuer. La puissance publique se préoccupe-t-elle vraiment de cette hétérogénéité inobservable subsistant à l’intérieur d’une même classe de revenu ? Si oui, dans quelle mesure influence-t-elle les taux choisis ? A partir de données de consommation canadiennes, les auteurs reconstituent des groupes dont les « goûts » sont identiques au sens de la théorie dite des « préférences révélées ». En supposant que les taux de la taxe fédérale sur la consommation (la GST) sont choisis optimalement, ils retrouvent la « valeur » implicite accordé à chacun de ces groupes. A « goûts » donnés, la « valeur » accordée aux plus démunis, dans le calcul des taxes indirectes, est plus importante. Mais ils constatent aussi que ces valeurs varient substantiellement selon les « goûts » : ceux des ménages du Québec rural seraient avantagés aux dépens de ceux de Colombie Britannique. Finalement, la redistribution entre les « goûts » à l’intérieur des classes de revenu est suffisamment importante pour rendre compte des taux fédéraux choisis.
......................
Titre original de l’article académique : “Many-Person Ramsey Rule and Nonlinear Income Taxation”
Publié dans : Working Paper CES 2015.33
Téléchargement : http://ces.univ-paris1.fr/cesdp/2015/15033.html
......................
© mjaud - Fotolia.com