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Inégalité, pauvreté et allocation de la consommation au sein des ménages sénégalais

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2rDTCVD

Philippe de Vreyer et Sylvie Lambert

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Classiquement, la mesure des inégalités dans un pays ignore les inégalités existantes au sein même des ménages. Peu d’efforts de mesure de l’allocation des ressources au sein des ménages sont ainsi réalisés, ce qui permet pourtant de réexaminer la question des inégalités et de la pauvreté.

Dans cet article, Philippe De Vreyer et Sylvie Lambert se sont écartés de la pratique habituelle qui consiste à mesurer la consommation au niveau du ménage avec un seul informateur et ont collecté, avec l’enquête PSF (1) au Sénégal, des données de consommation au niveau de sous-groupes au sein du ménage. Chaque personne ayant des « dépendants » dans le ménage a été interrogée sur ses dépenses en biens dont la consommation est individualisable (vêtements, portables…). Cet enregistrement individualisé permet aussi de minimiser les oublis et conduit à une consommation totale du ménage mesurée plus élevée, confirmant les résultats des expérimentations faites en matière d’enquêtes (2). Par ailleurs, dans le contexte sénégalais, où les différents membres du ménage peuvent avoir des revenus privés qui ne sont pas connus de tous, interroger chacun séparément permet de mesurer des consommations habituellement « cachées ». Au total, cette enquête enregistre une consommation de près de 30% supérieure à celle recueillie 6 mois plus tôt par l’enquête nationale de consommation au format standard. Cette réévaluation est plus forte pour les ménages où il y a plusieurs sources de revenus et des occasions de consommation cachées plus nombreuses. La consommation des ménages les plus pauvres est donc très peu affectée par cette approche, contrairement à celle des ménages situés plus haut dans la distribution des revenus. La distribution est ainsi « étirée » vers le haut par rapport à celle issue de l’enquête traditionnelle et l’inégalité est plus élevée : le coefficient de Gini est ici de 0,54 (3), au lieu de 0,4 pour l’enquête traditionnelle. Cette réévaluation de l’inégalité est majeure et change du tout au tout l’image que l’on peut avoir de la répartition des ressources dans ce pays. De plus, dans cet article, les auteurs développent une approche permettant de mesurer l’inégalité intra-ménage. Au sein de l’ensemble des inégalités telle que mesuré par l’indice de Theil, l’inégalité intra-ménage « pèse » 16% du total. En d’autres termes, 1/6e des inégalités totales sont le fait des inégalités présentes au sein des ménages. Pour en apprécier l’importance, il faut comparer ce chiffre de 16% à une inégalité intra-ménage maximale. Cette dernière, hypothétique, atteint 26% et est mesurée ainsi : après identification et attribution équitable des dépenses collectives (nourriture, électricité etc.), un seul individu - le chef de ménage - se voit allouer l’ensemble des consommations individualisables. Cette inégalité intra-ménage importante - elle représente un peu moins de deux tiers de ce que serait l’inégalité maximale - implique que certains ménages dont la consommation moyenne par tête est au-dessus du seuil de pauvreté national contiennent des membres qui sont eux en dessous de cette ligne, et qui devraient donc être considérés comme pauvres. 12,5% des pauvres sont ainsi « cachés » dans des ménages non pauvres (4). L’implication immédiate de politique publique est que des mesures qui ciblent les pauvres en se fiant à des mesures de consommation agrégée au niveau du ménage ratent une partie de leur cible. Il faut cependant noter que les pauvres qui vivent dans des ménages non-pauvres sont en moyenne moins démunis que les pauvres qui vivent dans des ménages où tous les membres sont sous le seuil de pauvreté.

(1) Pauvreté et Structure Familiale
(2) Plus le relevé est désagrégé, plus la consommation enregistrée est élevée
(3) En ignorant, pour l’instant, l’inégalité au sein des ménages
(4) Si la part des inégalités intra-ménages dans l’inégalité totale est très peu sensibles aux erreurs de mesure sur la consommation, la part des pauvres « cachés » est, elle, bien plus sensible.

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Titre original de l’article académique : « Inequality, poverty and the intra-household allocation of consumption in Senegal »
Téléchargement : https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/lambert-sylvie/intrahh-inequality-and-poverty_april2017.pdf
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