La science économique au service de la société

Age de départ à la retraite et justice sociale

Marc Fleurbaey, Marie-Louise Leroux, Pierre Pestieau et Gregory Ponthière

L’allongement de la durée de vie est un progrès majeur pour nos sociétés, mais cette évolution démographique remet cependant en question la soutenabilité financière des systèmes de retraites. Durant les dernières décennies, plusieurs réformes ont ainsi été menées en France et en Europe afin d’élever l’âge de départ à la retraite. Ces réformes ont souvent été mises en place au nom de la seule soutenabilité financière, sans considération pour le caractère socialement juste ou injuste de ce report de l’âge de départ à la retraite.
Dans cet article, Marc Fleurbaey, Marie-Louise Leroux, Pierre Pestieau et Gregory Ponthière étudient la définition d’un juste âge de départ à la retraite dans une économie où la durée de vie est incertaine, et où les hommes sont inégaux face à la mort. Les auteurs comparent le « laissez-faire » (situation hypothétique où les pouvoirs publics laisseraient les marchés fonctionner librement) avec l’allocation qui maximise le bien-être réalisé des personnes les moins bien loties (maximin ex post). Le terme « réalisé » est ici à souligner, car l’approche suivie par les auteurs diffère d’une approche ex ante, qui viserait à égaliser le niveau attendu de bien-être parmi les hommes, en ignorant les réalisations (notamment en termes de durées de vie). Au contraire, l’approche égalitarienne ex post donne la priorité aux individus qui décèdent prématurément, i.e. avant de pouvoir profiter de la retraite (et ce quel que soit le niveau de leur espérance de vie ex ante). Le principal résultat est le suivant : sous l’optimum (1) égalitariste ex post, l’âge de départ à la retraite optimal est, en général, plus élevé qu’au laissez-faire. Ce résultat revient à avancer un argument égalitariste en faveur d’un report de l’âge de départ à la retraite. L’intuition est la suivante : une partie de la population décède avant d’accéder à la retraite, cependant ces personnes ne sont pas identifiables ex ante. Dès lors, si on cherche à améliorer le sort de ces personnes disparues prématurément, la seule manière de procéder consiste, au préalable, à transférer, au sein de l’ensemble de la population, des ressources des âges murs de la vie vers les âges jeunes. Ces transferts, qui conduisent à un profil de consommation décroissant avec l’âge, permettent d’améliorer le sort des malchanceux qui décèderont avant la retraite, et ce malgré l’impossibilité d’identifier ces personnes au départ. Etant donné que la taille de ces transferts dépend de l’ensemble des ressources disponibles dans l’économie, il s’ensuit que reporter l’âge de départ à la retraite permet, en dégageant des ressources additionnelles, d’augmenter davantage les possibilités de consommation des plus jeunes, ce qui conduit à l’augmentation du bien-être des personnes qui, malchanceuses, décèdent avant d’avoir atteint la retraite.
(1) Situation hypothétique idéale constituant l’objectif social à atteindre, à partir duquel sont définies les politiques publiques optimales.
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Titre original de l’article académique : “Fair retirement under risky lifetime”
A paraître dans : International Economic Review
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00857945
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