La science économique au service de la société

Le coût caché de la solidarité familiale au Sénégal

Sylvie Lambert et Pauline Rossi

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Dans les pays en développement, la famille est souvent considérée comme un palliatif à l’absence de systèmes d’assurances formels. Implicitement, la participation à ces réseaux de solidarité familiale est supposée ne pas engendrer d’autres coûts que celui de la réciprocité. En particulier, les coûts non-monétaires supportés par les bénéficiaires de cette solidarité sont généralement ignorés. Pourtant, mieux les connaître permettrait d’évaluer plus justement les avantages de la création de filets de sécurité sociaux dans ces pays.
Dans cet article, Sylvie Lambert et Pauline Rossi étudient un exemple de ces mécanismes informels au Sénégal, où les fils jouent un rôle d’assurance-veuvage pour leurs mères. En effet, les veuves sénégalaises dépendent de leurs enfants pour accéder aux ressources de leur défunt mari, car seuls les enfants héritent. Les enfants du mari nés d’un précédent mariage sont des rivaux en matière d’héritage. Ainsi, une femme doit avoir suffisamment d’enfants – et en particulier de fils, qui héritent du double de leurs sœurs - pour s’assurer de ne pas être dépossédée en cas de veuvage. Grâce à des données originales collectées au Sénégal en 2006/2007 sur un échantillon de près de 1800 ménages représentatifs de la population du pays (enquête « Pauvreté et Structure Familiale »), les auteurs montrent que les choix de fécondité des femmes sont en partie déterminés par une stratégie d’assurance-veuvage. Les épouses dont le mari a eu des enfants d’un précédent mariage accélèrent leur fécondité jusqu’à avoir un garçon. La probabilité de grossesses rapprochées (moins de 24 mois d’écart) est deux fois supérieure chez les femmes qui font face à des rivaux (les enfants nés d’un premier lit du mari) et n’ont pas encore de fils. Or, ces grossesses rapprochées augmentent fortement les risques de mortalité maternelle et infantile. Les coûts pour la santé engendrés par cette assurance via les fils sont donc potentiellement très élevés pour ces femmes et pour leurs enfants.
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Titre original de l’article académique : “Sons as Widowhood Insurance : Evidence from Senegal”
Publié dans : PjSE Working Papers 2014.05
Téléchargement : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00948098
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