La science économique au service de la société

Pourquoi détient-on de la monnaie ?

Xavier Ragot

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La monnaie reste un objet mystérieux pour les économistes alors qu’elle constitue le principal actif de nombreux ménages partout dans le monde. Les motifs de la détention monétaire ne constituent pas seulement une curiosité intellectuelle, ils sont aussi cruciaux pour comprendre les évolutions dans la crise actuelle. Depuis 2008, les Banques centrales ont injecté des quantités massives de monnaie pour aider les économies à se stabiliser - bien plus en Angleterre et aux Etats-Unis qu’en Europe, il est vrai. Où va cette quantité de monnaie ? Qui la détient et pour quel motif ? La vision consensuelle des économistes est que les agents économiques détiennent de la monnaie pour consommer : la monnaie est ainsi un intermédiaire des échanges. Cependant, cette vision de la monnaie ne semble pas pertinente.
Dans cet article, Xavier Ragot utilise pour la première fois les données sur les ménages américains et italiens afin de comprendre les motifs de détention de monnaie. Il s’agit des données sur le patrimoine financier et monétaire collectées tous les 4 ans, et qui couvrent tous les ménages américains et italiens. Le premier résultat surprenant est que les encaisses monétaires des ménages sont très différentes de leurs niveaux de consommation : les ménages ont souvent bien plus de monnaie que ce qui est nécessaire à leur consommation, ce qui tend à invalider l’hypothèse d’intermédiaire des échanges. En revanche, les encaisses monétaires sont proches des niveaux de richesse des ménages, c’est-à-dire de leur patrimoine total. La monnaie est utilisée comme réserve de valeur, en complément d’autres actifs financiers, bien plus rémunérateurs. Comment comprendre ce comportement ? L’auteur montre que l’on peut comprendre les choix monétaires en introduisant un nombre important d’imperfections financières que la littérature économique a pour habitude de considérer séparément. Tout d’abord, les ménages font face à des risques de fluctuations importantes de revenus (essentiellement le risque de chômage). En termes économiques, cela se résume pudiquement par l’incomplétude des marchés d’assurance. Ensuite, il y a un coût pour aller sur les marchés financiers. Ce coût n’est pas seulement financier, il semble être aussi cognitif. Acheter des obligations, SICAV, FCP et autres demande un temps d’analyse que certains ménages ne préfèrent pas payer. En tenant compte de ces imperfections financières, on peut comprendre la distribution empirique de monnaie.
La conclusion de cet article est que l’on ne peut séparer la théorie monétaire de l’économie financière. La monnaie existe du fait de nombreuses « imperfections » que l’on doit introduire dans l’analyse économique. Enfin, dans un tel cadre, les effets redistributifs de la politique monétaire (« qui perd qui gagne » lorsque la politique monétaire change) peuvent être analysés plus finement.
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Titre original de l’article académique : “The case for a financial approach to money demand”
Paru dans : Journal of Monetary Economics, Vol. 62, Pages 94–107 - March 2014
Téléchargement : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304393213001256
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