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Fluctuat nec mergitur : le rôle de la Banque de France dans la crise de 1889

Pierre-Cyrille Hautcœur, Angelo Riva et Eugene White

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La mission-clé des préteurs en dernier ressort est de contenir les crises financières sans encourager une future prise de risque excessive. Après 2008, le sauvetage d’institutions financières en défaillance a été critiqué au nom de l’aléa moral qu’il induit. Nombre d’observateurs soutiennent la nécessité d’un retour à la règle dite de Bagehot : dans leurs fonctions de prêteurs en dernier ressort, les banques centrales devraient demander des garanties suffisantes pour protéger les citoyens et refuser leur aide aux banques insolvables, même si la défaillance de ces institutions avait des effets sur le reste du système financier (banques « systémiques »). Après la crise, des nouvelles réglementations ont été mises en place des deux côtés de l’Atlantique pour éviter une action de sauvetage préventif de banques systémiques insolvables de la part des préteurs en dernier ressort. Ceux-ci seraient ainsi plutôt amenés à intervenir ex-post pour gérer la panique. Le coût pour les économies concernées pourrait être plus élevé que celui d’un sauvetage. Cette considération amène à se demander sous quelles conditions une action préventive de sauvetage peut être menée sans induire d’aléa moral.
Dans cet article, Pierre-Cyrille Hautcoeur, Angelo Riva et Eugene White discutent des leçons à tirer du succès de la Banque de France dans la gestion de la crise de 1889, en se fondant sur des archives jusque-là inexploitées. En reconnaissant son importance systémique, la Banque de France a octroyé un prêt d’urgence au Comptoir d’Escompte, la deuxième banque française de l’époque, qui était clairement insolvable à cause des pertes provoquées par le financement de spéculations sur le cuivre. Les autres institutions financières de la place de Paris ont été contraintes par la Banque de France et par l’Etat de garantir les pertes que la Banque aurait pu enregistrer sur ce prêt au Comptoir d’Escompte. La participation des banques de la place à la garantie a été pensée comme une sanction : en conséquence, les montants garantis étaient fonction du degré d’implication des banques dans la spéculation sur le cuivre et non de la capacité à payer de ces banques. En outre, les tribunaux de l’époque ont condamné les individus reconnus comme responsables, notamment les administrateurs du Comptoir d’Escompte, à effectuer des remboursements conséquents à leurs liquidateurs et actionnaires et à payer des amendes très importantes. L’ensemble de ces sanctions semble avoir réduit l’aléa moral que l’intervention de la Banque de France aurait pu induire : il n’y a plus eu de crises bancaires en France jusqu’à la première guerre mondiale…
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Titre original de l’article académique : “Floating a Lifeboat : the Banque de France and the Crisis of 1889”
Publié dans : Journal of Monetary Economics, 65, July 2014, pp. 104-199
Téléchargement : http://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-01053389/
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