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Urbanisation et qualité de l’environnement : le rôle des préférences

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Emeline Bezin, Ingmar Schumacher

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La croissance rapide de l’’urbanisation à l’échelle internationale s’est traduite par une augmentation des revenus, favorisant ainsi les investissements dans la protection de l’environnement (1). Parallèlement à cela, cet épisode inédit d’exode rural a entraîné une réduction progressive des interactions entre l’Homme et la nature. Certains chercheurs en sciences sociales remarquent que cette « extinction de l’expérience » conduira à « un cycle d’aliénation aux conséquences potentiellement désastreuses » (2). Selon eux, le manque d’exposition à la nature chez les jeunes populations urbaines conduit à un attachement plus faible à l’âge adulte. Des niveaux d’urbanisation croissants peuvent s’accompagner d’un phénomène de « déconnexion de la nature » qui se traduit par une disposition à payer pour la protection de l’environnement plus faible résultant en une dégradation potentielle de l’environnement futur. Si cet effet de préférences, qui se manifeste par le phénomène de « déconnexion de la nature », prévaut sur l’effet revenu pur, alors l’urbanisation pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur l’environnement dans le futur.

Dans cet article, Emeline Bezin et Ingmar Schumacher proposent une théorie unifiée de l’urbanisation et du changement intergénérationnel des préférences permettant d’examiner l’arbitrage entre l’effet positif sur la qualité de l’environnement engendré par l’augmentation des revenus supplémentaires liés à l’urbanisation et l’effet potentiellement négatif des préférences dû au phénomène de « déconnexion de la nature ». Ils développent un modèle d’équilibre général de migrations rural-urbain dans lequel les individus migrent vers les centres urbains en arbitrant entre des arguments économiques (la productivité du travail étant plus élevée en ville) et la proximité avec la nature. Le taux d’urbanisation affecte alors les préférences en matière d’environnement de la nouvelle génération, car les enfants grandissant en ville ont plus de chances de perdre cette connexion à la nature et ainsi de manifester une disposition à payer plus faible pour l’environnement. À chaque période, la proportion d’individus « connectés à la nature » (CTN) influence le taux d’urbanisation et la qualité de l’environnement (les individus votent pour des politiques de protection de l’environnement). Le taux d’urbanisation influence à son tour la proportion d’individus connectés à la nature de la période suivante. Au sein ce cadre théorique, les auteurs déterminent le niveau de qualité de l’environnement à long terme et la proportion d’individus CTN en mettant l’accent sur la relation entre urbanisation et qualité de l’environnement à long terme. Ils mettent en évidence une relation non monotone entre l’urbanisation et la qualité de l’environnement à long terme. Lorsque le taux d’urbanisation d’équilibre est relativement faible, alors l’urbanisation croissante (induite par exemple par une augmentation de la productivité du travail dans la ville) s’accompagne d’une amélioration de la qualité de l’environnement. Toutefois, lorsque l’urbanisation est forte, celle-ci a de graves répercussions sur l’environnement. En effet, l’effet positif de l’urbanisation sur le revenu l’emporte sur l’effet négatif de la perte de lien avec la nature, si (et seulement si) la proportion à long terme de personnes connectées à la nature est élevée, ce qui se vérifie lorsque l’urbanisation est faible. Dans un deuxième temps, les auteurs enrichissent la théorie précédente en y incluant un « canal de transmission culturelle ». Ils supposent que les attitudes des individus en matière d’environnement sont également façonnées par des actions de socialisation au sein de la famille ainsi que par d’autres processus de socialisation comme l’imitation sociale (de modèles rencontrés dans la société). Sous certaines conditions, la relation entre l’urbanisation et le niveau de qualité de l’environnement à long terme devient positive. Tout comme dans le cadre précédent, lorsque l’urbanisation augmente, la taille de la zone rurale diminue, de sorte que la fraction des individus qui font directement l’expérience de la nature est plus faible. Cependant, la distribution spatiale des individus à l’équilibre étant inégale, une forte urbanisation se traduit également par un nombre croissant de parents et modèles CTN dans la ville, de sorte que la fraction d’enfants urbains qui adoptent des préférences environnementales par le biais de la socialisation augmente. Ce deuxième effet prévaut lorsque le canal de transmission culturelle est suffisamment efficace, ce qui se vérifie si, par exemple, le coût de la socialisation est faible. Dans ce cas, l’urbanisation permet l’essor d’une culture environnementale en ville. Ce résultat souligne l’importance de tenir compte de la détermination conjointe du niveau d’urbanisation et du changement des préférences lors de l’analyse de la relation entre urbanisation et qualité de l’environnement. Dans ce contexte, les politiques d’éducation environnementales (qui réduisent le coût de la socialisation aux préférences environnementales) sont essentielles car elles peuvent rendre l’urbanisation durable sur le plan environnemental.

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Références
(1) Glaeser, Edward, Triumph of the City, Pan, 2011.
(2) Pyle, Robert M, The Thunder Tree, Boston : Houghton Mifflin, 1993.

Titre original de l’article : Connectedness to nature, urbanization and the environment.
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Crédit photo : Maxim Usov (Shutterstock)