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La loi du prix unique est-elle vérifiée sur les marchés aux poissons ?

Lien court vers cet article : http://bit.ly/28Jp0oQ

Laurent Gobillon et François-Charles Wolff

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Les économistes s’interrogent depuis longtemps sur la validité de la loi du prix unique qui stipule que sur un marché en concurrence parfaite, des biens identiques devraient être vendus au même prix. Il est possible qu’en réalité, cette loi ne soit pas vérifiée parce qu’il existe des « imperfections » du fait de problèmes locaux de rationnement, d’une information limitée sur les biens disponibles à la vente ou de coûts de déplacements. Se pose par ailleurs le problème pratique de pouvoir étudier des biens homogènes ou similaires pour tester cette loi.

Dans cet article, Laurent Gobillon et François-Charles Wolff s’intéressent au marché français du poisson et testent dans quelle mesure des poissons d’espèces et de caractéristiques similaires sont vendus au même prix sur l’ensemble des criées en France. Les criées sont réparties sur les côtes Atlantique et Méditerranéenne, si bien qu’il peut exister des problèmes d’information sur les lots vendus ainsi que des coûts de déplacement ou de transport pour les acheteurs. L’étude est restreinte aux transactions de lots de poissons vendus aux enchères qui sont les plus nombreuses sur le marché (1). Pour certaines criées, les acheteurs autorisés peuvent obtenir de l’information sur les lots vendus et passer des enchères à distance grâce à internet. L’analyse est menée sur huit espèces de poissons et de crustacés en utilisant une base de données exhaustive des transactions ayant eu lieu dans les criées françaises en 2007. Elle prend en compte les caractéristiques observables des poissons comme l’espèce, la taille, le mode de présentation (entier, en morceaux, etc.) et la note de qualité attribuée par un expert assermenté. Les auteurs réalisent également une « neutralisation » (2) de deux types de différences : les différences de préférences pour les poissons qui peuvent amener certains acheteurs à payer plus cher pour certaines espèces ; les différences de qualité inobservée des poissons (entre bateaux) liées aux différences d’équipement ou de zone de pêche.
Les résultats montrent qu’il existe des différences spatiales de prix non négligeables après la prise en compte des caractéristiques des poissons, des acheteurs et des vendeurs. Les différences de prix entre criées sont avant tout liées aux distances qui les séparent et surtout au fait que certaines criées sont localisées sur la côte Atlantique tandis que d’autres se trouvent sur la côte Méditerranéenne. En effet, pour une espèce de poisson donnée, les prix sont environ 35% plus élevés sur la côte Méditerranéenne. Cette différence de prix entre les deux côtes peut s’expliquer par une segmentation spatiale de l’offre de poissons car les coûts pour les bateaux de se déplacer d’une côte à l’autre sont prohibitifs. Lorsqu’on se restreint à la côte Atlantique, les variations de prix entre criées sont sensiblement plus faibles pour presque toutes les espèces. Ce résultat suggère que la façade Atlantique constitue un marché intégré où la loi du prix unique tend à être vérifiée.

(1) Cette étude ne s’intéresse pas aux ventes de gré à gré pour lesquelles peuvent exister des relations de long terme entre acheteurs et vendeurs.
(2) Cette « neutralisation » revient à tenir compte de l’identité des acheteurs et des vendeurs pour éliminer leur influence sur les différences de prix entre criées.

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Titre original de l’article académique : “Evaluating the Law of One Price Using Micro Panel Data : the case of the French fish Market”
Publié dans : American Journal of Agricultural Economics (2016) 98 (1) : 134-153
Téléchargement : https://ajae.oxfordjournals.org/content/98/1/134.full

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