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La vie à pile ou face

Lien court vers ce résumé : http://bit.ly/2lruOxD

Patrick Meyer et Grégory Ponthière

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Mors certa, hora incerta. Comme le philosophe Vladimir Jankélévitch l’a souligné dans son traité La Mort (1977), l’incertitude sur la durée de la vie constitue un aspect essentiel de la condition humaine. Chacun sait que sa vie aura une fin, mais personne ne connaît la date de son décès futur, ni même l’âge auquel il décédera. Comment mesurer cette incertitude sur la durée de la vie ? Comment construire, à partir des tables de mortalité disponibles, une mesure permettant de quantifier le risque sur la durée de la vie ? Plus précisément, est-il possible de construire un indicateur intuitif, permettant de rendre le risque sur la durée de vie davantage concret pour l’être humain ?

Dans cet article, Patrick Meyer et Grégory Ponthière proposent de quantifier le risque sur la durée de la vie à l’aide de l’indice d’entropie de Shannon (défini en base 2). L’attrait principal de cet indicateur réside dans le fait qu’il mesure le risque sur la durée de vie en termes de bit, le bit étant défini comme la quantité d’information révélée par un lancer de pièce de monnaie (un « pile ou face »). Cet indicateur permet ainsi de rendre le risque sur la durée de vie commensurable avec le risque associé à un (certain nombre de) « pile ou face », et permet au citoyen lambda d’avoir une idée plus concrète de la quantité de risque associée à la durée de sa vie. L’intuition sous-jacente est la suivante : chaque individu fait face à une loterie dont les différents scénarios possibles correspondent à différentes durées de vie possibles (ou, de manière équivalente, différents âges au décès possibles). Lorsqu’une personne décède, le résultat de la loterie – la durée de vie effective (ou l’âge au décès) – devient connu, et révèle ainsi une certaine quantité d’information. L’indice d’entropie de Shannon mesure, pour un âge donné, la quantité d’information qui sera révélée en cas de décès à un âge ultérieur. Dans un monde hypothétique où tout le monde décéderait au même âge (courbes de survie dites « rectangulaires »), un décès à l’âge x ne révèlerait aucune information, et l’entropie serait nulle. Dans la réalité, les courbes de survie ne sont pas rectangulaires, et un décès à l’âge x révèle une quantité positive d’information, que notre indicateur rend commensurable avec la quantité d’information révélée par un (certain nombre de) « pile ou face ». L’article propose de calculer l’indicateur d’entropie de Shannon (défini en base 2) pour les 37 pays de la Human Mortality Database (1750-2014), et compare les entropies obtenues par pays, années, âges et par genres. Plusieurs faits stylisés sont ainsi mis en lumière. Lors des deux derniers siècles, l’indice d’entropie à la naissance présente une forme en U inversé, avec une entropie maximale observée au début du XXe siècle, à un niveau de 6 bits. Au début du XXIe siècle, l’entropie à la naissance s’élève à 5.6 bits pour les hommes et 5.5 bits pour les femmes. Il est également montré que le profil d’entropie par âge est passé d’une forme non monotone (d’abord croissante puis décroissante avec l’âge) aux XVIIIe et XIXe siècles à une forme monotone décroissante avec l’âge aux XXe et XXIe siècles.
En somme, cet article montre que, si la quantité de risque associée à la durée de la vie a fortement varié lors des derniers siècles, passant de 6 bits à 5.5 bits (à la naissance), elle reste cependant, aujourd’hui encore, substantielle, et équivalente à la quantité de risque associée à plus de 5 « pile ou face ».

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Titre original de l’article académique : Human lifetime entropy in a historical perspective (1750 - 2014)
Publié dans : PSE Working Papers n°2016-30 (2016)
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01409679
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