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Demand For Stocks in the Crisis: France 2004-2014

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Luc Arrondel and Jérôme Coffinet

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L’épargne des ménages français est abondante : elle s’élève à près de 16% du revenu disponible brut (RDB). En Europe, seuls les Allemands font mieux. Selon certains chercheurs académiques et décideurs publics, cette épargne serait toutefois mal orientée et trop concentrée dans l’immobilier. Mais l’épargne financière de notre pays, près de 6% du RDB (environ 7 500 milliards d’euros selon la comptabilité nationale), reste supérieure à la moyenne de la zone euro (5%). Le débat porte en fait sur l’allocation de cette épargne financière jugée trop prudente. La part des produits d’épargne réglementés (livret A par exemple) et des fonds en euros, fiscalement avantagés, représente, en effet, plus de la moitié du patrimoine financier des Français en 2016 (contre 40% seulement dix ans plus tôt), alors que les titres et les contrats en unités de compte constituent seulement 35% de ce patrimoine (contre 45% en 2006). Par ailleurs, toutes les enquêtes montrent que l’achat direct d’actions a diminué d’environ 50% entre 2008, date de la crise, et 2016. Même si la tendance s’est retournée légèrement en 2017, le nombre d’actionnaires individuels se situe aujourd’hui autour de 3,5 millions soit un peu plus de 7% de la population adulte. Cette désaffection pour les placements risqués n’est pas spécifique à la France puisque moins de 9% des ménages dans la zone euro détiennent des actions cotées.
D’après la théorie « standard », les choix de portefeuilles reposent sur une double rationalité : celle des choix et celle des anticipations. Cette théorie fait dépendre les investissements des épargnants de trois facteurs fondamentaux : les ressources présentes ; les anticipations (rationnelles) de rendement et de risque des actifs, mais aussi de revenus du travail ; et enfin les préférences des agents, notamment vis-à-vis du risque (aversion, tempérance). Elle prédit que tous les épargnants doivent, au moins en petite quantité détenir des actifs risqués. Mais comme on l’a observé précédemment, ce fait n’est pas observé en pratique, l’actionnariat étant faible dans de nombreux pays et notamment en France (« stock participation puzzle »). L’économie psychologique (ou comportementale) met en avant certains « biais » cognitifs ou « émotions » pour expliquer ce puzzle : aversion à l’ambiguïté, aversion à la perte, pessimisme, défiance, manque d’éducation financière, etc. Comme le montrent les auteurs, la remise en cause de l’hypothèse d’anticipation rationnelle pourrait être aussi une réponse possible à cette énigme.
Dans cet article, Luc Arrondel et Jérôme Coffinet étudient les facteurs individuels expliquant la détention d’actions sous ses différentes formes, et leurs évolutions suite à la crise financière (1). Il existe trois principaux modes d’investissement dans les actions : acheter des titres en direct ; les acheter par l’intermédiaire de fonds communs de placement ; et enfin souscrire une assurance vie liée à des fonds (contrats en unité de compte). Ces trois canaux n’impliquent pas les mêmes comportements. En effet, outre les caractéristiques de risque et de rendement, ils diffèrent par leurs coûts de transaction, leurs frais de gestion et leur fiscalité. En conséquence, il n’y a pas de raison a priori de considérer que les décisions de choix de portefeuille des ménages sur ces différents supports sont équivalentes et correspondent aux mêmes caractéristiques des individus.
Les données suggèrent que la baisse régulière du taux d’actionnaires observée en France pendant la crise concerne aussi bien la détention directe qu’indirecte d’actions. Seule échappe à cette baisse la détention des contrats d’assurance-vie. Leur diffusion, croissante entre 2004 et 2014, ne peut cependant expliquer la moindre détention des autres produits-actions (pas d’effet de substitution). Les estimations économétriques permettent d’affiner l’analyse et d’identifier les caractéristiques spécifiques des actionnaires en fonction du support choisi : ceux qui investissent directement dans des actions sont plus riches, plus éduqués et relativement moins averses au risque ; ceux qui détiennent des fonds communs de placement sont un peu plus riches mais aussi plus averses au risque que les actionnaires en direct et ne sont pas plus éduqués ; enfin, pour les investissements en actions sur des contrats d’assurance-vie, la position dans le cycle de vie et la catégorie sociale jouent un rôle important, de même qu’une aversion au risque modérée et une préférence faible pour le présent. Les épargnants qui investissent dans des contrats d’assurance-vie le font davantage par prévoyance (financement de leur retraite par exemple) et ne recherchent pas forcément un rendement à court terme de leurs placements. L’information joue aussi un rôle prépondérant : la détention d’actions par les parents influence les décisions d’investissement des enfants.
Enfin, une décomposition économétrique (Oaxaca-Blinder) permet de séparer les effets dus à l’évolution des caractéristiques de la population des effets dus aux changements des comportements sur la diminution du nombre d’actionnaires. Le fait que plus des deux tiers de l’effet global ne puisse pas être expliqué par les changements socio-démographiques met en évidence le fort impact de la crise sur les investissements en actions des ménages.

(1) Pour cela, ils s’appuient sur les données collectées dans les enquêtes « Patrimoine » de l’Insee menées auprès des ménages français au cours de la période 2004-2014.

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Original title of the article: “Demand For Stocks in the Crisis: France 2004-2014“ by Luc Arrondel and Jérôme Coffinet

Published in: https://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-01785324

Available at: https://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-01662761