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Trade and currency weapons

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Agnès Bénassy-Quéré, Matthieu Bussière and Pauline Wibaux

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Depuis la fin de l’été, la moitié des importations américaines venant de Chine sont taxées, avec un droit de douane s’élevant à 11 % en moyenne (1). Ainsi, le droit de douane moyen sur l’ensemble des flux de commerce depuis la Chine et à destination des Etats-Unis est de l’ordre de 5% (2). Toutefois, le yuan s’est déprécié d’environ 8 % par rapport au dollar depuis le début de l’année 2018. Bien que l’appréciation du dollar soit logique compte tenu des politiques monétaires et budgétaires américaines actuelles, certains analystes suggèrent que la Chine pourrait être tentée de manipuler le cours de sa monnaie pour compenser ces augmentations de droits de douane. D’autres soutiennent que l’appréciation du dollar est une réaction mécanique à l’augmentation des droits sur les importations, une combinaison qui serait in fine sans effet sur la compétitivité-prix américaine. De manière surprenante, peu de travaux se sont attachés à comparer l’élasticité des exportations aux barrières douanières et aux taux de change, si ce n’est en se concentrant sur un pays (3).

Agnès Bénassy-Quéré, Matthieu Bussière et Pauline Wibaux estiment ces élasticités pour un panel de 110 pays entre 1989 et 2013, en utilisant des données bilatérales détaillées au niveau produit (environ 5 000 produits dans la classification HS6). Leurs résultats indiquent qu’une dépréciation réelle de 1 % de la monnaie de l’exportateur entraîne une hausse de ses exportations de 0,5 % en dollars courants ; une baisse des droits de douane d’un point de pourcentage dans le pays importateur entraîne une augmentation de 1,4 % des exportations vers ce pays. Ainsi, une dépréciation réelle de 1 % de la monnaie du pays d’origine est « équivalente », en termes d’exportations, à une baisse de 0,34 points de pourcentage du droit de douane du pays de destination : le droit de douane a trois fois plus d’impact sur le commerce que le taux de change. Les deux instruments sont donc loin d’être équivalents. Cette asymétrie est cohérente avec les élasticités trouvées séparément dans la littérature (4). Les causes de cet écart n’en sont toutefois pas élucidées. Par exemple, il n’est pas clair que les variations de droits de douane soient plus durables que les variations de taux de change réel, ni que les droits de douane réagissent de manière rapide et systématique au taux de change lui-même. Ces résultats suggèrent qu’il faudrait une dépréciation réelle de 14 % de la monnaie chinoise pour compenser une hausse de 5 points de pourcentage des droits de douane à la frontière américaine. Si le président américain met à exécution sa menace de taxer l’intégralité des produits chinois, alors la dépréciation « compensatrice » du yuan devient irréaliste. La Chine n’a pas intérêt à suivre cette voie, et a d’ailleurs pour le moment soutenu sa monnaie contre une dépréciation trop importante. On ne peut, en effet, s’en tenir aux effets comparés des droits de douane et de la politique monétaire sur le commerce quand il est question de politique économique. L’objectif d’un grand pays est rarement le solde de sa balance commerciale ; c’est plutôt la prospérité interne. A court terme, certes, une hausse des droits de douane à l’importation ou une dépréciation de la monnaie nationale ont pour effet de limiter les importations et de déplacer une partie de la demande en faveur des producteurs nationaux. Mais à long terme, l’instauration de droits de douane nuit au pouvoir d’achat des consommateurs nationaux, tandis que le taux de change réel revient en principe à son niveau d’équilibre. Ainsi, la politique commerciale ne saurait se substituer à la politique monétaire pour gérer le cycle d’activité.

(1) Bown et al., 2018
(2) Depuis le 24 septembre, avec la mise en place de nouveaux droits de douane, près de la moitié des importations américaines de produits chinois sont taxées à 10%. Cette taxe doit augmenter à 25% le 1er janvier 2019.
(2) Fitzgerald et Haller (2014) se concentrent sur des données de firmes irlandaises, alors que Fontagné et al. (2017) estiment ces deux élasticités pour les firmes françaises. Leurs résultats indiquent qu’une appréciation de la monnaie de l’exportateur de 10% diminue les exportations de 6%, et une augmentation du droit de douane de 10% baisse les exportations de 20%.
(4) Head et Mayer (2014) réalisent une méta-analyse des différentes élasticités au commerce estimées dans la littérature.

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Original title of the article : “Trade and currency weapons”

Published in : CESifo, Working Paper Series 7112.

Available at : https://www.cesifo-group.de/DocDL/cesifo1_wp7112.pdf