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L’Homme Cosmique : tour d’horizon des inégalités raciales en Amérique Latine

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Guillermo Woo-Mora (Master APE)

Il y a cent ans, l’intellectuel mexicain José Vasconcelos prophétisait : « Nous parviendrons en Amérique, avant toute autre région du monde, à la création d’un Homme nouveau, fusion de toutes les races [noire, indienne, mongole et blanche] : l’évolution finale, celle de l’Homme cosmique ». De nos jours, la plupart des latino-américains se décrivent comme mestizo ou mulato (métisse). Ces termes décrivent la créolisation des autochtones, des Africains et des Européens procédant du métissage datant de la période coloniale. Se réclamer de l’identité Mestizaje (métisse) a été un moyen d’éviter les fractures raciales. Cette identité a fait office de troisième voie, alternative aux politiques raciales des XIXe et XXe siècles, telles que la ségrégation raciale et le lynchage aux États-Unis, ainsi que le nazisme et le fascisme en Europe.

Toutefois, la stigmatisation ethno-raciale a longtemps été utilisée pour justifier et façonner les inégalités en Amérique latine, une des régions les plus inégalitaires de la planète (1). Dans son mémoire de master, Guillermo Woo-Mora analyse les dynamiques de l’image de l’Homme Cosmique en décortiquant les manières dont les caractéristiques raciales influencent les niveaux de bien-être individuels et globaux. Les données utilisées proviennent du Baromètre des Amériques du Latin American Public Opinion Project (2) qui utilise la palette de couleurs développée par le Project on Ethnicity and Race in Latin America (3). L’étude utilise des données sur la couleur de la peau et le revenu de près de 100 000 individus de 25 pays d’Amérique latine au cours de la dernière décennie.

Dans la première partie de son mémoire, Woo-Mora étudie comment les caractéristiques ethniques, identifiées à la couleur de la peau, influencent les niveaux individuels de bien-être. En utilisant une méthodologie de recherche qui fait abstraction de l’hétérogénéité non observée, les résultats montrent que, sur une palette de 11 couleurs, passer d’une couleur de peau plus blanche à une couleur plus foncée diminue le revenu mensuel par habitant de 8%. Pour expliquer cet écart, l’auteur applique des méthodes économétriques pour décomposer cette influence en deux parties : une qui peut être expliquée par des rendements différents des facteurs observables (années d’études, expérience professionnelle, sexe), et une autre qui ne peut être expliquée par ces derniers. La seconde composante est utilisée comme mesure de la discrimination et explique les deux tiers de l’écart. Les résultats sont cohérents avec les preuves expérimentales et observationnelles des études précédentes pour différents pays d’Amérique latine.

Dans la deuxième partie de son mémoire, Woo-Mora élabore une nouvelle manière de mesurer les inégalités raciales : les inégalités de revenu entre les groupes raciaux. La littérature a montré que les pays au sein desquels il existe une inégalité plus importante entre les groupes ethniques souffre d’un plus faible développement économique. Cependant, au vu de l’importance de l’identité mestizaje (métisse) en Amérique Latine, les inégalités raciales pourraient mieux expliquer les différences de croissance économique. Conformément à l’hypothèse de l’auteur, une augmentation d’1% de l’inégalité raciale diminue de 4 % le PIB par habitant. En outre, l’inégalité raciale est plus élevée dans les pays où la part de mestizo ou mulato est plus importante.

En conclusion, l’appartenance raciale influe sur les niveaux de bien-être individuels et globaux. Il existe un écart de revenu entre les groupes raciaux qui s’explique principalement par la discrimination. De plus, les inégalités raciales entravent le développement économique des pays d’Amérique latine. De ce fait, on peut avancer qu’une imposition progressive sur le revenu et la richesse est bénéfique en termes de réduction des inégalités entre groupes raciaux. Enfin, notons que ces inégalités sont un phénomène mondial qui dépasse de loin l’Amérique Latine. Dans la plupart des pays, il est nécessaire de disposer de meilleures mesures sur les groupes raciaux et d’étudier davantage leurs effets sur le bien-être économique.

(1) Pour les sociologues, la race ou la racialisation sont des caractéristiques physiques ou des phénotypes qui peuvent définir l’appartenance à un groupe, alors que l’appartenance à une ethnie est souvent basée sur des caractéristiques culturelles.
(2) https://www.vanderbilt.edu/lapop/
(3) https://perla.soc.ucsb.edu/

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Références

Titre du mémoire de master : Unveiling the Cosmic Race : Racial Inequalities in Latin America

Sous la direction de : Thomas Piketty (PSE & EHESS) et Ignacio Flores (Stone Center CUNY)

Disponible sur : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/MEM-PSE/dumas-03461224

Contact : guillermo.woo-mora chez psemail.eu

Crédit visuel : Elms Art - shutterstock