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Comment la France a-t-elle révolutionné son mix énergétique dans les années 1970 ?

Lien court : https://bit.ly/3m2FYWr

Cécile Fraysse (Master PPD)

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Le réchauffement climatique pose, de façon dramatique, la question du changement de mix énergétique. La France a toutefois déjà connu un changement de mix énergétique majeur, au cours des années 1970, en se tournant vers l’énergie nucléaire. Ce choix transforma profondément l’histoire énergétique de la France. Quels ont donc été les déterminants politiques et économiques de cette décision ?

Dans les années 1970, plusieurs technologies pouvaient être utilisées pour produire de l’énergie nucléaire civile : la technologie à uranium naturel graphite gaz (filière française) et la technologie à eau pressurisée ou bouillante (filière américaine). Au moment du choc pétrolier de 1979, la France avait en réalité déjà opté pour la technologie à eau pressurisée.

Ce mémoire de master, réalisé par Cécile Fraysse, éclaire – par un travail de contextualisation – le choix d’une politique publique ainsi que l’utilisation d’arguments économiques. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce travail. Tout d’abord, Électricité de France (EDF) avait bien anticipé une possible tension sur les marchés du pétrole et modélisé une hausse du prix du fioul (même si celle-ci s’est révélée bien inférieure à celle constatée par la suite). En dépit d’un taux d’actualisation élevé au cours des années 1970, d’autres hypothèses privilégiaient le choix du nucléaire. En outre, les estimations d’EDF quant aux coûts d’investissement avaient pour source le coût des centrales nucléaires en cours de construction en Belgique ou des études réalisées aux États-Unis, ce qui ne pouvait donner qu’une vision approximative des coûts d’investissement français. De plus, les calculs économiques développés par EDF n’ont pas pris en compte la dérive des coûts du nucléaire. En effet, le choc pétrolier a eu un impact sur le coût du nucléaire lui-même. Enfin, l’hypothèse de consommation retenue (soit un doublement tous les dix ans, en prolongement de la tendance historique) soutenait le recours à un plan massif en faveur de l’énergie nucléaire. Si les hypothèses prises par EDF se sont révélées erronées, l’explosion du prix du fioul explique ex post la rationalité du choix de l’énergie nucléaire, selon la méthode du calcul technico-économique.

Le calcul économique – initialement effectué par les ingénieurs économistes d’EDF et reconstruit par Cécile Fraysse via la compilation de plusieurs documents d’archives – a permis de rationaliser une position qui reste essentiellement politique, en démontrant la rentabilité de la filière américaine par rapport au fioul d’une part, et par rapport à la filière française d’autre part. Il est à noter que la méthode de calcul économique d’EDF ne prenait pas en compte le niveau de risque du nucléaire ou celui de la gestion des déchets radioactifs. Un consensus existait au sein des institutions françaises (Ministère de l’Industrie, de l’Économie, Assemblée nationale), le débat quant à l’impact environnemental de l’énergie s’étant limité au potentiel risque de réchauffement des rivières. Le choix du nucléaire a été également favorisé par la centralisation de l’État en France. La France est encore dans un modèle d’économie de rattrapage après la Seconde Guerre mondiale, et le programme nucléaire a notamment permis de valoriser l’image d’une France « rayonnante ». Cependant, le financement de son développement via le plan Messmer était un financement privé avec garantie de l’État. EDF a emprunté sur les marchés étrangers (américains notamment), en rupture avec le financement du programme hydraulique.

Les recherches ici présentées sont d’autant plus d’actualité que le changement climatique a remis la question de l’énergie au centre du débat public. Toutefois, le changement de mix énergétique n’est plus une question réservée aux seuls ingénieurs économistes. Ce mémoire rappelle que les résultats d’une modélisation, d’un calcul, sont toujours soumis à des hypothèses bien spécifiques, découlant d’un construit social.

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Références

Titre du mémoire de master : Du pétrole à l’atome : étapes et financement de la transition énergétique française post-1973

Sous la direction de : Eric Monnet (PSE)

Disponible sur : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/MEM-PSE/dumas-03461211

Contact : cecile.fraysse chez acpr.banque-france.fr - Profil LinkedIn

Crédit visuel : Christian Schwier - shutterstock