La science économique au service de la société

Emigration et transfert d’argent : sort-on sa famille de la pauvreté ?

David Margolis, Luis Miotti, El Mouhoub Mouhoud, Joël Oudinet

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Dans les pays en développement ou intermédiaires, la décision d’émigrer est souvent motivée par des raisons économiques. Une fois embauchés dans le pays d’accueil, ces migrants envoient à leur famille des sommes qui, consolidées, sont colossales : en 2012, selon la Banque Mondiale plus de 400 milliards de dollars ont ainsi transités vers l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique Latine - soit un montant bien supérieur à celui de l’aide au développement. Mais le débat est vif entre experts : cet argent permet-il aux familles restées dans les pays d’origine de sortir de la pauvreté, et réduit-il les inégalités locales et nationales ? David Margolis et ses co-auteurs ont réalisé une étude approfondie sur 1200 foyers de deux régions algériennes, Nedroma et Idjeur. Les transferts d’argent étant essentiellement informels - moins de 10% des flux sont comptabilisés par l’état algérien - il leur a semblé primordial d’analyser directement la structure monétaire de ces foyers, en explicitant notamment leur contrefactuel : « Combien la famille aurait-elle gagné si l’émigrant n’était pas parti ? ».

Différentes conclusions sont présentées par les auteurs. Avec plus de 95% des migrants algériens qui font le choix de la France, les liens - et leur antériorité - entre les deux pays jouent un rôle essentiel. Dans les deux régions, les flux d’argent réduisent les inégalités et la pauvreté des familles restées en Algérie, mais de façon encore plus marquée pour celles d’Idjeur. Ici, le coefficient de Gini est réduit de 8% là où il est minoré de 4% pour la région de Nedroma. Les auteurs notent que près d’un tiers des transferts sont le fait de retraites perçues dans l’hexagone dont au moins une partie est rapatriée en Algérie. Dans les deux régions, la diminution de la pauvreté est conséquente : les envois d’argent réduisent de 35% le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour. La baisse de l’extrême pauvreté (moins de 1,25 dollars par jour) est encore plus forte : il y a 4 fois de moins de foyers dans cette catégorie à Idjeur, et deux fois moins à Nedroma. Plusieurs éléments expliquent la différence d’impact des fonds envoyés par les migrants des deux régions : historiquement, l’émigration des algériens de Nedroma s’est ralentie après l’indépendance, ce qui fait mécaniquement baisser les montants ; cette région est mieux intégrée dans l’économie nationale et présente un marché du travail local moins chaotique que celui d’Idjeur ; le phénomène de « double perte » (l’émigrant ne travaille pas localement et il ne transmet pas assez d’argent) est plus faible pour les habitants d’Idjeur : de culture Kabyle, ses émigrants ressentent une plus forte pression sociale et ils envoient systématiquement plus d’argent que leurs homologues de Nedroma.
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Titre original de l’article académique : To Have and Have Not : Migration, Remittances, Poverty and Inequality in Algeria
Publié dans : IZA DP No. 7747, novembre 2013
Téléchargement : http://econpapers.repec.org/paper/diawpaper/dt201402.htm
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