La science économique au service de la société

L’amélioration récente de la place des femmes sur le marché du travail en Egypte est-elle une conséquence du printemps arabe ?

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Nelly El-Mallakh, Mathilde Maurel, et Biagio Speciale

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L’autonomisation des femmes (« empowerment ») a occupé une place centrale dans les débats publics et universitaires de ces dernières années. Il existe aujourd’hui un large consensus sur le fait que - en dehors des aspects sociétaux et égalitaires - l’autonomisation des femmes favorise le développement et l’efficacité économiques. Cependant, dans de nombreux pays du monde, les femmes restent au second plan pour plusieurs raisons liées notamment à l’éducation et au marché du travail. Cela est particulièrement notable dans le monde arabe, où plusieurs pays connaissent aussi ces dernières années une vague de protestations, connue sous le nom de « printemps arabe ».

Dans cet article, Nelly El-Mallakh, Mathilde Maurel et Biagio Speciale se concentrent sur l’Egypte, où il existe de fortes inégalités entre les femmes et les hommes. Ils fournissent une analyse empirique de l’effet des protestations de 2011 sur l’écart entre les sexes sur le marché du travail. Une des principales nouveautés de ce papier est l’utilisation d’un ensemble de données unique issue d’une base statistiques relative à la révolution égyptienne, administrée par le Centre égyptien des droits économiques et sociaux (1). Les auteurs étudient la variation dans l’exposition plus ou moins intense des quartiers aux manifestations en géocodant chaque « martyr » (2), sur la base de son lieu de mort. En combinant ces données avec celles issues des enquêtes égyptiennes sur le marché du travail (3), ils montrent, région par région, que les protestations ont permis de réduire l’écart entre les hommes et les femmes en termes de participation au marché du travail, en augmentant simultanément le taux d’emploi des femmes et leur taux de chômage - ces dernières commençant alors à rechercher activement un emploi. De plus, N. El-Mallakh, M. Maurel et B. Speciale constatent que l’augmentation du taux d’emploi des femmes prend principalement la forme d’emplois peu qualifiés, essentiellement dans le secteur informel. Lorsqu’elles travaillent, les épouses ont également augmenté par rapport à leur mari leur « offre de travail » et le nombre d’heures hebdomadaires travaillées. Ces résultats sont cohérents avec l’idée d’un partage des risques au sein du ménage. Les auteurs mettent en lumière que les vagues de protestations ont eu une incidence négative sur la rémunération des hommes, à la fois sur le niveau et sur la volatilité de leurs revenus. En effet, une grande partie des hommes est employée dans le secteur privé qui a été le plus affecté par le printemps arabe en Egypte. Par conséquent, les femmes mariées ont davantage travaillé afin, vraisemblablement, de faire face aux risques accrus et à l’instabilité des revenus de leur mari. Ces résultats enrichissent la littérature existante sur l’effet de l’entrée de nouvelles personnes sur le marché du travail. Ils permettent également de mieux cerner la manière dont un choc temporaire sur la division du travail femmes/hommes peut avoir des conséquences à moyen terme sur le rôle des femmes dans la société.

(1) Egyptian Center for Economic & Social Rights - http://ecesr.org/en/
(2) Manifestant-e mort-e pendant les protestations
(3) ELMPS - Egypt Labor Market Panel Survey

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Titre original de l’article académique : “Arab Spring Protests and Women’s Labor Market Outcomes : Evidence from the Egyptian Revolution”
Working paper n°957, ERF
Téléchargement : https://hal-paris1.archives-ouvertes.fr/hal-01309651/document

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