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Assurances et aides informelles : les contributions volontaires suffisent-elles ?

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Louis Lévy-Garboua, Claude Montmarquette, Jonathan Vaksmann et Marie-Claire Villeval

Les assurances contractuelles, contraignantes et révocables, ne protègent pas les individus de tous les aléas de l’existence. Un principe d’aide mutuelle se substitue alors au marché d’assurance, en offrant une assurance informelle, non contraignante et implicite aux membres d’un groupe défini par une caractéristique ou un intérêt commun. Les membres du groupe sont libres de contribuer au « pool » (1). Les ressources disponibles pour l’ensemble du groupe sont redistribuées entre ses membres selon une règle prédéfinie en fonction de leurs besoins et/ou de leur participation respectifs. Plusieurs exemples illustrent la mise en place de cette assurance informelle. Les syndicats utilisent les cotisations reçues pour protéger les salariés contre les risques de perte d’emploi. Les acteurs socio-économiques, à l’échelon régional, et les nations, à l’échelon international, se rassemblent dans des clubs « climat » pour définir et financer conjointement des politiques qui réduiront l’impact des dégradations climatiques différentielles subies par chacun des membres. Les associations caritatives, les membres de communautés villageoises, religieuses ou nationales témoignent de leur solidarité à l’égard des pauvres, des grands malades, des victimes d’accidents ou de catastrophes naturelles par une assistance directe qui vient compléter les dispositifs d’assurance. Ces trois exemples soulèvent le problème de l’hétérogénéité de la participation, libre et volontaire, des membres des groupes d’aide mutuelle. Il existe en effet un conflit entre les motifs d’assurance et les incitations à contribuer, entre l’identité des contributeurs et celle des bénéficiaires. Pour reprendre les exemples mentionnés, les salariés qui ne cotisent pas pour les syndicats, les membres du club climat ou des communautés qui contribuent peu au pool pourraient être systématiquement les principaux bénéficiaires des efforts fournis par les cotisants ou par les membres les plus coopératifs.

Pour résoudre ce conflit, L. Lévy-Garboua, C. Montmarquette, J. Vaksmann et MC. Villeval conçoivent une expérience de laboratoire. Les sujets reçoivent une dotation égale pour tous, et ils sont libres de contribuer ou non à un fonds mutualisé pour s’assurer contre le risque de perdre un tiers de cette dotation. Ce jeu est répété cinquante fois. La couverture des pertes subies par les sujets est co-déterminée par la somme des contributions volontaires de la période et par une règle de partage que les auteurs font varier. Ils comparent les effets de deux règles de partage : une « couverture égale » qui garantit la même indemnité à toutes les victimes indépendamment de leur contribution, et une « couverture dépendante de la contribution » qui avantage celles qui ont le plus contribué. Lorsque la couverture est égale pour tous, les contributions convergent vers zéro, l’unique équilibre de Nash (2) du jeu dans ce cas. En revanche, lorsque la couverture dépend des contributions, il existe une pluralité d’équilibres de Nash et celui qu’on observe en réalité oppose une majorité (environ 60%) de hauts contributeurs à une minorité significative (environ 40%) de faibles contributeurs. Les auteurs expliquent ce résultat par l’hétérogénéité des attitudes individuelles vis-à-vis du risque. Dans la mesure où une majorité de gens n’aime pas le risque et qu’une minorité de gens le tolère, ces deux groupes adhèrent à des normes a priori très différentes : contribution équitable et assurance complète pour les premiers, aucune assurance ni contribution pour les seconds. L’interaction entre ces deux groupes antagoniques amène les sujets qui ont de l’aversion au risque à n’être que partiellement couverts (62,5%), et ceux qui tolèrent le risque à s’assurer tout de même un peu (21,7%) pour bénéficier de la manne que les premiers leur procurent. Dans un contexte risqué comme celui de l’expérience et de nombreuses situations réelles, l’attitude individuelle vis-à-vis du risque semble prendre le pas sur des « préférences sociales » comme l’aversion à l’inégalité et la coopération conditionnelle.

(1) Le « pool » désigne un groupe dont les membres acceptent de mettre en commun l’ensemble des contributions individuelles pour s’assurer contre un risque.
(2) Un ensemble de stratégies des joueurs est un « équilibre de Nash » si aucun joueur n’a intérêt à dévier unilatéralement de sa stratégie. Dans le cas présent, l’équilibre de Nash est atteint quand aucun joueur ne contribue au pool parce qu’aucun joueur n’a intérêt à contribuer si personne d’autre ne contribue.

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Titre original de l’article académique : “Voluntary Contributions to a Mutual Insurance Pool”
Publié dans : Journal of Public Economic Theory, Wiley. 2015
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01218020

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