La science économique au service de la société

Au CAPES et à l’Agrégation, les recruteurs favorisent le sexe « minoritaire » dans leur discipline

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2dlq7Sr

Thomas Breda et Mélina Hillion

JPEG - 48 ko

Les femmes sont fortement sous-représentées au sein des métiers scientifiques et dans certaines disciplines académiques (mathématiques, physique, philosophie). La discrimination, à l’école puis à l’embauche, a depuis longtemps été évoquée comme l’une des causes possibles à ce phénomène. Néanmoins, les expérimentations récentes de « testing », menées à partir de CV fictifs ne différant que par le sexe et le nom des candidats, aboutissent à des résultats contrastés et ne permettent pas de confirmer cette hypothèse.

Dans cet article, Thomas Breda et Mélina Hillion montrent que les biais de genre dans le recrutement peuvent varier fortement selon le contexte étudié. Deux paramètres essentiels permettent d’expliquer ces biais : le degré de sous-représentation d’un genre ou l’autre dans une discipline donnée, et le niveau (d’études) auquel l’évaluation a lieu. Les auteurs utilisent comme « expérience naturelle » les trois concours publics externes de recrutement des enseignants français du primaire au supérieur : l’agrégation dans 11 disciplines distinctes, le Capes dans 9 disciplines distinctes, et le concours de recrutement des professeurs des écoles. En comparant les notes obtenues pour la période 2006-2013 par plus de 100 000 candidats aux oraux non anonymes et aux écrits anonymes de ces concours, ils constatent l’existence de biais d’évaluation en faveur du genre minoritaire, biais qui augmentent fortement avec le degré de sous-représentation de ce dernier dans la discipline. Ces biais sont légèrement favorables aux hommes en littérature et en langues étrangères et largement favorables aux femmes en mathématiques, physique ou philosophie. Dans ces dernières disciplines, la proportion de femmes suffisamment bien classées pour être admises au Capes et à l’agrégation augmente de 10 à 20 % entre les écrits et les oraux. Plusieurs tests complémentaires confirment que ces résultats reflètent bien une discrimination positive de la part des évaluateurs plutôt que des différences de compétences entre les candidats (1). Par ailleurs, le phénomène observé est plus fort à l’agrégation qu’au Capes, et inexistant au concours de recrutement des professeurs des écoles. Ces derniers résultats suggèrent qu’il n’y a pas de discrimination « négative » à l’embauche à l’encontre des femmes très qualifiées dans les disciplines où elles sont sous-représentées. En revanche, on ne peut exclure l’existence de telles pratiques discriminatoires en amont dans le parcours scolaire ou lors de recrutements pour des postes moins qualifiés.
Ces résultats contribuent à alimenter le débat public et peuvent aider à sélectionner les interventions les plus adaptées afin d’accroître la représentation des femmes dans les domaines où elles sont actuellement sous-représentées. L’étude suggère d’abord que les politiques visant à limiter la discrimination et à lutter contre les stéréotypes de genre devraient se concentrer davantage sur les premières étapes du processus d’orientation scolaire. Elle montre ensuite que les initiatives rendant complètement ou partiellement anonyme le processus de recrutement (par exemple l’envoi de CV anonymes) risquent d’aboutir à des effets opposés à ceux escomptés. Les résultats suggèrent enfin que les jeunes femmes (respectivement les jeunes hommes) peuvent s’engager dans les filières d’études traditionnellement réservées aux hommes (respectivement aux femmes) sans craindre d’y être discriminé(e)s. Véhiculer largement cette information pourrait permettre de mettre fin à l’idée répandue selon laquelle les femmes sont systématiquement discriminées au sein des sciences (environ 60 % des lycéens le pensent) et ainsi limiter les phénomènes d’autocensure qui amènent les jeunes femmes et les jeunes hommes à rejeter les filières d’études qu’ils conçoivent comme ne leur étant pas destinées.

(1) Ou encore d’éventuelles distorsions liées à l’interprétation des formes d’écriture comme masculine ou féminine

......................
Titre original de l’article académique : “Teaching accreditation exams reveal grading biases favor women in male-dominated disciplines in France”
Publié dans : Science, 29 Juillet 2016:Vol. 353, Issue 6298, pp. 474-478
Téléchargement : http://science.sciencemag.org/content/353/6298/474

......................
© .shock - Fotolia.com