Economics serving society

January 2011 - Paris School of Economics Newsletter

EDITO de Pierre-Yves Geoffard


INVITE - Joseph Doyle: à notre santé !


PARCOURS - Pedro Jara-Moroni, « Here, there and everywhere »


TRIBUNE - Le casse-tête des taxes environnementales


FOCUS - Le budget 2010-2011 de PSE


PARTENAIRE - La Chaire Banque de France



EDITO de Pierre-Yves Geoffard


Assurance dépendance : publique ou privée... mais obligatoire !
Le débat sur la prise en charge de la dépendance des personnes âgées vient enfin d’être ouvert par le gouvernement. Certes, de nombreuses ambiguïtés doivent être levées, ce problème étant qualifié tantôt de « cinquième risque », tantôt de « cinquième branche », cette seconde interprétation suggère une extension de la sécurité sociale, alors que la première laisse la réflexion ouverte à un système concurrentiel d’assurance. Mais la question du financement ne peut être abordée qu’à travers celle des services apportés aux personnes dépendantes. Actuellement, outre les soins médicaux proprement dits, couverts par les assurances maladies, les services d’aide à la vie quotidienne sont le plus fréquemment apportés par l’entourage familial, notamment féminin. Ce temps consacré aux personnes dépendantes échappe en grande partie aux statistiques, car il fait rarement l’objet d’un échange marchand.
Mais les enquêtes montrent que, pour les personnes « aidantes », il peut représenter une charge lourde, qui parfois entre en conflit avec le travail salarié. Le développement d’un secteur formel de prise en charge, allégeant la charge des aidants familiaux, articulant l’ensemble des services nécessaires des tâches ménagères aux soins hospitaliers, et permettant aux personnes qui le désirent de continuer à vivre à domicile, est de fait un enjeu plus important que le financement des dépenses.

Mais les deux questions sont liées, car deux équilibres sont possibles. Dans le système actuel, l’assurance dépendance reste facultative, et de nombreuses personnes choisissent de ne pas s’assurer : peut-être par procrastination, assez plausible lorsqu’il s’agit de se projeter dans un futur aussi peu engageant, mais peut-être aussi par insuffisance des services proposés. A quoi bon payer aujourd’hui une prime d’assurance pour recevoir, dans un futur lointain, une rente qui ne donnerait accès qu’à des services de mauvaise qualité ? En revanche, savoir qu’il existera dans le futur des services adéquats peut nourrir une demande d’assurance. Symétriquement, de tels services ne peuvent se développer que si les intervenants du secteur anticipent une demande élevée dans le futur, et surtout une demande solvable, ce qui est justement garanti par une assurance suffisamment répandue.

La politique publique peut intervenir pour favoriser la coordination des anticipations sur le deuxième équilibre. Rendre l’assurance obligatoire semble indispensable ; qu’elle soit publique permettrait en outre de viser un financement plus justement réparti. Le développement, après guerre, de la branche maladie de la sécurité sociale avait pour objectif affiché de susciter une augmentation de l’offre de soins médicaux, en rendant la demande de soins solvable. L’objectif a été atteint, voire dépassé… Saura-t-on transposer ce succès au risque dépendance ?


INVITE - Joseph Doyle : à notre santé !

Avec la réforme de la santé menée par le président Obama, 2010 a dû être une année formidable pour vous ?
J.D : En effet ! La santé est l’un de mes deux sujets de recherche de prédilection — avec le bien-être de l’enfant : ainsi, ma question du moment est-elle « En dépensant plus d’argent dans les prestations de santé, sauve-t-on automatiquement plus de vies ? ». Les deux volets centraux de la réforme voulue par Barack Obama, i.e fournir une couverture santé supplémentaire aux plus démunis et opérer des coupes pertinentes dans les dépenses, font partie depuis de nombreuses années de mes interrogations scientifiques « quotidiennes ». Sollicité par les experts de Washington lors des phases préparatoires, j’ai tenté d’apporter le point de vue le plus original et incisif possible — il est impossible d’être d’accord à 100 % avec l’ensemble des 2 000 pages de ce texte mais l’administration en place a vraiment réalisé là un travail d’envergure. Reste à attendre quelques années pour voir comment la société s’appropriera ces changements ; une trentaine d’évaluations sont en cours et nous permettront d’en savoir plus : à nouveaux comportements, nouvelles données ! La nouveauté a d’ailleurs motivé mon séjour à PSE : le système de la Carte Vitale, très différent de ce qui se fait aux États-Unis, me permet d’étudier pour la France les liens employés/employeurs en termes de dépenses de santé. Le diable est toujours dans les détails et même si elles rendent ma tâche encore plus complexe, je suis ravi de travailler sur ces nouvelles données !

Quel est votre sentiment sur les critiques générales de Rubinstein à l’égard du manque de réflexivité des économistes : « Tous les humains sont appppréhendés comme des agents économiques, sauf un groupe d’anges regardant le monde d’au-dessus : les économistes » ?
J.D : Bien entendu, les économistes sont des « agents » comme les autres. Mais notre responsabilité est, avant tout, d’être conscients de cela et d’apporter la vision la plus objective possible sur notre société, ses choix et comportements, ses succès et échecs. Je détesterais écrire des articles scientifiques destinés uniquement à des rayonnages d’archives : participer au débat public est à la fois fondamental et passionnant. Mes sujets de recherche sont périlleux mais j’essaie d’être aussi ouvert que possible dans mon approche afin de formuler les meilleures recommandations, et je rencontre avec plaisir associations, décideurs, spécialistes... pour détailler et expliquer ces conclusions.
Lorsque j’ai commencé, dans les années 90, à étudier la problématique des familles d’accueil dans l’Illinois, je n’avais aucun a priori sur les analyses et conclusions potentielles. L’impact de cet article fût assez conséquent, entraînant de nombreuses réactions — de rejet ou d’acceptation — dans ce microcosme. Bien qu’il soit toujours difficile de tracer une ligne claire entre la protection de l’enfant et celle de la famille, je suggérais aux professionnels de l’enfance et aux hommes politiques d’accorder plus d’importance à la préservation de la famille : mes recherches concluaient en effet à des trajectoires de vie plus complexes pour les enfants placés en famille d’accueil, tendance d’autant plus nette dans les cas où les conclusions des évaluateurs divergeaient (ndlr : mandatés pour déterminer le placement ou non des enfants).

Quel regard portez-vous sur l’affirmation que seules les approches structurelles peuvent proposer des recommandations pour l’ensemble de la population et son futur ?
J.D : Proposer des solutions pour améliorer la façon dont notre société fonctionne m’est cher et je suis pour cela extrêmement impliqué, mais mon approche scientifique est plus modérée. D’intenses débats agitent les économistes, par exemple la valeur et les limites de l’approche avec variables instrumentales ; pour ma part, je conduis des expériences naturelles car je les considère plus transparentes (nous pouvons toujours « remonter » vers l’origine des résultats) mais les modèles structurels me permettent formellement de les extrapoler. Evidemment, je garde au final à l’esprit que ce sont des extrapolations. A l’Université de Chicago, j’ai été formé et ai eu la chance de travailler avec les professeurs Heckman et Levitt : mon approche combine naturellement leurs travaux et modèles.
En ne renvoyant pas ces auteurs dos à dos, je me sens ainsi plus serein et plus subtil dans mes conclusions, dosant et adaptant la méthode au cas, à la période temporelle, aux agents étudiés...


Pedro Jara-Moroni, « Here, there and everywhere »

Le parcours de Pedro se dessine d’un continent à l’autre, dans un mouvement régulier de balancier entre son Chili natal et la France. Ingénieur diplômé de la faculté des Sciences de l’Université du Chili dès 2003, ses préférences sont claires : un master Ingénierie du Transport en poche, il se lance dans un doctorat en Mathématiques appliquées à Santiago... mais obtenant une bourse d’étude de l’ambassade de France au Chili, il fait le pari fou de rédiger deux thèses en une, ajoutant à ses explorations scientifiques un volet économique.
Le ministère français des affaires étrangères l’y encourage via une bourse EIFFEL grâce à laquelle son séjour parisien débute en 2004. ATER pour la Chaire « Théorie économique et organisation sociale » du Collège de France en 2006, il soutient deux ans plus tard, sous la direction de Roger Guesnerie (mais également d’Alejandro Jofré), sa double thèse franco-chilienne, ou plutôt économico-mathématiques !
Il est, depuis, « rentré » à l’Université de Santiago du Chili où il est enseignant-chercheur en Théorie des jeux, Microéconomie Théorique, Économie Urbaine (notamment les réseaux de transports et d’électricité) ou encore en Économie Mathématiques. Mais ce parcours, déjà riche, resterait incomplet sans l’évocation d’une autre passion plus personnelle : guitariste et chanteur du groupe The Brits Beatles Tribute, il enchaîne les concerts à travers le pays et est une fois de plus « here, there and everywhere ».


TRIBUNE - Le casse-tête des taxes environnementales

Mireille Chiroleu-Assouline & Katrin Millock - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CNRS, PSE

Alors que les négociations de Cancun sur le changement climatique n’ont pas vraiment abouti à un accord international plus significatif que celui arraché il y a un an à Copenhague, les États peinent aussi à mettre en place des politiques nationales d’envergure de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. C’est le cas de la France qui a renoncé à son projet de taxe carbone1 et reporté sur l’Union européenne le poids des discussions en conditionnant sa mise en oeuvre potentielle à l’adoption d’un ajustement fiscal aux frontières Européennes. Mais c’est aussi le cas des Etats-Unis où l’administration Obama s’est vue contrainte d’abandonner son projet de création d’un marché de permis d’émission de dioxyde de carbone.
Pourquoi est-il aussi difficile de mettre en oeuvre des mesures de régulation environnementale notamment, des taxes environnementales ? Côté régulateur, la question du choix optimal entre instruments quantitatifs (normes ou quotas) ou taxes est un sujet qui a été abondamment débattu dans la littérature en économie de l’environnement, et des arguments existent en faveur des uns ou des autres selon le problème étudié (Weitzman, 1974). Côté entreprises, leur préférence pour des quotas alloués gratuitement a, depuis longtemps, été expliquée par l’existence de la rente ainsi obtenue (Buchanan et Tullock, 1975). C’est la raison principale pour laquelle le secteur industriel régulé préférerait une restriction quantitative à une taxe. Mais aujourd’hui, l’échelle et l’urgence des problèmes environnementaux imposent d’agir également de façon directe sur les comportements des consommateurs.
La taxe environnementale soulève de réelles réticences : l’une des explications les plus probables tient sans doute à ce qu’en rendant explicite le coût d’un polluant, elle permet de calculer les coûts et les bénéfices des politiques, ainsi que leur impact distributif. Notons le parallèle avec le commerce mondial où les négociations internationales ont longtemps porté sur la transformation des restrictions quantitatives des exportations en tarifs douaniers, afin de négocier sur une même base, et de pouvoir plus facilement chiffrer le coût des distorsions économiques induites.
D’autres explications sont plutôt du ressort de l’économie politique. Il est extrêmement probable que le consommateur moyen ignore les effets d’équilibre général et le fait que toute régulation imposée à l’industrie sera in fine payée par l’ensemble de la population, tant par les consommateurs que par les salariés. De même, le coût des normes sur l’essence et le diesel est moins connu du grand public, qui l’interprète comme le fait que l’industrie polluante paie pour sa propre dépollution, sans percevoir les effets indirects sur les consommateurs. Une taxe sur les émissions de carbone (calculée proportionnellement au contenu de carbone dans le combustible utilisé) permet quant à elle de calculer le coût direct à payer par chacun. En principe, l’instauration d’une taxe peut être accompagnée d’un système de reversement des recettes, de façon forfaitaire ou dégressive, afin d’éviter des effets distributifs indésirables mais le chiffrage direct fourni par la taxe permet plus facilement à des groupements de défense de divers intérêts de s’opposer à sa mise en oeuvre.
Prenons donc l’exemple des émissions de gaz à effet de serre et des essais infructueux de mise en oeuvre d’une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone. Faut-il s’en désespérer ? La raison principale de l’accueil défavorable réservé à cette taxe par l’opinion publique était davantage l’impression d’un certain manque d’équité (une taxe carbone sans compensation impose un coût plus élevé pour les ménages en zone rurale et ceux à faible revenu) que le simple refus d’un surcoût à payer par l’individu lui-même. Il est notoire que les taxes sur l‘essence figurent parmi les taxes les plus impopulaires, mais des recherches récentes démontrent l’importance pour leur acceptabilité de la perception par le public d’une utilisation efficace et justifiée des recettes fiscales ainsi obtenues. Sur les données d’un sondage effectué en Suède, où la taxe carbone a été introduite en 1991, Hammar et Jagers (2006) notent que plus la confiance des sondés était grande dans les politiques menées et plus ils avaient tendance à être favorables à la taxe carbone. Sans aller jusqu’à suggérer de renommer la taxe intérieure sur les produits pétroliers « redevance climat-énergie », il est clair que l’acceptabilité d’une contribution climat, qui devrait être plus populaire qu’une taxe sur l’essence, est très liée à la confiance accordée à l’utilisation des recettes, à la perception de son efficacité et de son caractère équitable. Dans le cas contraire, son rejet paraît tout à fait rationnel.
La mise en oeuvre d’instruments économiques (taxes ou quotas échangeables) est incontestablement difficile et met en évidence le besoin de pédagogie et d’information du public. Une troisième voie émerge alors, celle des politiques de l’information et de l’éducation du consommateur. Peu coûteuses, sans incidence négative, d’une efficacité non encore mesurée, elles peuvent sans doute a minima préparer les esprits à de futures mesures plus contraignantes et conduire les consommateurs à engager d’eux-mêmes certains changements souhaitables (comme le faisaient déjà 60 % des ménages européens fin 2009). L’évaluation du Grenelle de l’environnement menée récemment le montre clairement : les engagements qui supposaient des réformes d’envergure mais délicates sont au point mort (contribution climat-énergie, ajustement fiscal aux frontières européennes…) tandis que la politique des petits pas suit son cours.

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Le point de vue de Xavier Gorce...


FOCUS - Le budget 2010-2011 de PSE‐École d’économie de Paris


PARTENAIRE - La Chaire Banque de France


Partageant la volonté commune d’animer la vie scientifique sur de nombreuses questions internationales, la Banque de France et PSE-École d’économie de Paris ont scellé un partenariat favorisant le développement de la recherche sur l’architecture du système monétaire et financier international et dans le domaine de la macroéconomie internationale. Florin Bilbiie et Romain Rancière sont les coordinateurs scientifiques de cette Chaire de recherche, à laquelle est affiliée une quinzaine de chercheurs majoritairement issus de PSE — mais également de la Banque de France.En appui à cette équipe, deux chercheurs de renommée internationale ont pu être invités pour un séjour d’un mois : Aaron Tornell (UCLA) et Pierre-Olivier Gourinchas (Berkeley University).
Deux évènements majeurs co-organisés par cette Chaire ont rythmé l’année 2010. Une conférence internationale, actant l’inauguration de la Chaire, s’est déroulée en janvier 2010 en partenariat avec le FMI et le Cepremap, sur le thème Economic Linkages, Spillovers and the Financial Crisis. Durant deux jours, des dizaines d’économistes français et étrangers sont intervenus sur les questions de politique globale, d’équilibre international, de commerce mondial, de cycles (croissance et crise) et de finance internationale ; lors de la dernière demi-journée qui clôturait ces sessions de travail, une table ronde, présidée par Jean-Pierre Landau, réunissait Olivier Blanchard, François Bourguignon, Daniel Cohen, Jean-Luc Schneider et Beatrice Weder di Mauro. Début décembre 2010, une seconde conférence intitulée Political Economy of Crisis-Induced Reforms s’est tenue à Paris en partenariat avec le FMI. Deux types de sessions ont été organisées : le premier jour, 4 papiers ont été présentés et discutés sur les réformes financières et la prise de risque bancaire, et 4 autres sur l’économie politique des réformes ; le second jour, deux groupes de discussion ont échangé sur les réformes structurelles à mettre en oeuvre sur les outils fiscaux d’un côté et sur le marché du travail de l’autre — et ce pour restaurer un cadre stable et libérer la croissance. Enfin une table ronde de clôture présidée par Mario Monti a réuni Erik Berglof, Benoît Coeuré, Carlo Cottarelli, Aaron Tornell, Marco Buti et Jean-Pierre Landau sur le thème Passer à l’action : la gouvernance du processus de réformes. Par ailleurs, l’ensemble des sessions du séminaire Macroéconomie (plus de 30 en 2009-10) est co-financé par la Chaire Banque de France, permettant d’accueillir des universitaires du monde entier : Barcelone, Cambridge, Chicago, Lausanne, Londres, Los Angeles, Mannheim, Milan, New Haven, Zurich...
Des questions communes sous-tendent toutes les activités menées par cette Chaire : comment mieux comprendre les mécanismes macroéconomiques, mieux analyser leurs épisodes de croissance et de crise et mieux concevoir les instruments de politique monétaire, fiscale et macro-financière ? Cette réflexion s’inscrit dans une démarche globale aux objectifs clairs, tels que présentés en novembre dernier1 par Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France : « [...] travailler à l’élaboration d’une architecture financière internationale plus efficace et plus stable [...] en nous assurant que les différents systèmes financiers interagissent de façon harmonieuse, via une plus grande compatibilité des approches de la régulation financière entre les économies avancées et émergentes : ceci est aujourd’hui à notre portée ».