La science économique au service de la société

Matthew Jackson (Stanford) : « Chaque fois que l’on cherche à comprendre les modalités des interactions humaines, il s’agit d’une problématique de réseaux »

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Matthew O. Jackson est actuellement « William D. Eberle Professor of Economics » à l’université de Stanford, membre externe de l’Institut de Santa Fe, et senior fellow du CIFAR. Il a enseigné notamment à l’université de Northwestern et Caltech, après un doctorat à Stanford (1988). Ses travaux de recherches portent sur la théorie des jeux, la microéconomie théorique et sur les réseaux économiques et sociaux - thème sur lequel il a publié de nombreux articles académiques, ainsi qu’un livre « Social and Economic Networks ». Il donne par ailleurs des cours en ligne sur les réseaux et sur la théorie des jeux.
Au printemps 2016, il est séjourne à PSE en tant qu’invité.
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Comment en êtes-vous venu à étudier les réseaux sociaux ?

Un peu par hasard : courant 1993, Asher Wolinsky et moi-même avons commencé à nous demander comment le pouvoir pouvait être mesuré et modélisé. Nous avons parcouru la littérature sociologique à-propos du pouvoir, de l’influence et de la manière dont la position d’un individu au sein d’un réseau compte. Nous avons eu ensuite recours à la théorie des jeux afin d’analyser la formation des réseaux dans une perspective économique : quels réseaux ont le plus de probabilité de se former lorsque les individus choisissent eux-mêmes les relations qu’ils entretiennent ? Ceux-ci peuvent être des réseaux d’amitiés, de partenariats, de collaborations ou d’alliances etc. Quels sont les « meilleurs » réseaux selon la société étudiée ? En quoi la réponse à cette question dépend-elle des cadres dans lesquels les hommes interagissent ? Pourquoi les réseaux formés par les individus peuvent-ils être différents de ceux efficaces d’un point de vue social ? Pour ces questions - et bien d’autres - l’approche économique s’est révélée être très bien adaptée. Même si, de nos jours, la notion de « réseau social » tend à se résumer à Facebook ou Twitter, ce domaine de recherche académique est beaucoup plus large : il s’applique à n’importe quel cadre au sein duquel les humains interagissent et comptent les uns sur les autres. Ainsi, chaque fois que l’on cherche à comprendre les modalités des interactions humaines, il s’agit d’une problématique de « réseaux » - ce qui ouvre la voie à d’innombrables applications.

Quelles directions souhaitez-vous donner à vos futures recherches ?

Récemment, je me suis intéressé au développement d’outils : nous n’avons pas de techniques adéquates pour analyser les réseaux sociaux d’une manière complète et pertinente, particulièrement en termes d’économétrie et de statistiques sur la façon dont les gens forment des relations. Notamment, je me concentre sur le fait de mesurer la formation des réseaux et sur l’implication de contextes différents.
Si l’on prend à titre d’exemple « l’homophilie », qui est la tendance d’interagir avec des personnes qui nous sont très similaires, ce phénomène est observé dans à peu près toutes les dimensions de notre vie. L’homophilie s’explique par différents facteurs, et a un nombre non négligeable de « coûts » associés : la polarisation, les inégalités, l’immobilité… et c’est pourquoi je travaille afin de mieux comprendre le caractère omniprésent et durable de ce phénomène.

Quelle est la raison de votre nouvelle visite à Paris ?

Je pense que les technologies ont fortement amélioré le fonctionnement du monde académique. Elles permettent un meilleur accès aux informations à travers le monde et une capacité accrue des chercheurs à collaborer malgré les distances. Néanmoins, les interactions sociales restent importantes sur le plan local et personnel, et c’est pourquoi je suis ici en ce moment. Paris est un pôle particulièrement vigoureux sur mes thématiques de recherche, notamment les réseaux. En termes de collaborations, je travaille avec Francis Bloch et Gabrielle Demange sur des projets centrés sur les réseaux. Je co-enseigne un cours avec Gabrielle et je donnerai aussi quelques conférences. C’est une bonne occasion de travailler avec une communauté scientifique assez grande dont un nombre de chercheurs sont spécialistes de son propre sujet de prédilection, et c’est toujours assez sain de changer d’environnement de temps en temps !