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DEBAT - Réguler et rééquilibrer : les défis de la présidence française du G20

Débat illustré par CHAPPATTE

Matthieu Crozet
« Vive la régulation, à bas le protectionnisme ! »

La poursuite de la mondialisation fait l’objet d’un consensus au sein du G20. Lors du sommet de Londres, en avril 2009, le groupe s’est engagé à poursuivre dans la voie du libre-échange, et a rejeté l’idée de recourir à des mesures de restriction des échanges. Les objectifs affichés par la présidence française du G20 sont explicites : durcir la régulation financière, lutter contre la volatilité des prix des matières premières, ou encore renforcer la dimension sociale de la mondialisation et lutter contre la corruption. Nul ne s’attend à ce que les problèmes énoncés trouvent une solution rapide et définitive, mais ces objectifs fixent une ligne politique : encadrer les marchés mondiaux sans renoncer à la liberté de commercer. « Vive la régulation, à bas le protectionnisme », c’est donc en substance ce que met en avant, sinon le G20, du moins sa présidence française.
Cette ligne n’est pas si simple à suivre car réguler revient souvent à contraindre, de façon insidieuse, les échanges internationaux. On comprend bien l’intérêt à réguler certains marchés : pour prévenir des comportements trop risqués, assurer un partage plus équitable des rentes, limiter les possibilités d’évasion fiscale ou encore pour garantir un niveau minimal de qualité sanitaire ou environnementale...
Ces régulations n’ont a priori aucun caractère protectionniste dès lors qu’elles s’appliquent indistinctement à tous les producteurs, étrangers comme nationaux. Mais dans les faits, cette absence de caractère discriminant ne suffit pas à s’assurer que les régulations ne vont pas constituer des barrières au commerce, en pesant moins sur les producteurs nationaux que sur leurs concurrents étrangers. Satisfaire les contraintes réglementaires implique des coûts supplémentaires (recherche et fourniture d’information, mise aux normes des produits, provision de garanties…), que les concurrents étrangers sont moins à même de recouvrir afin d’entrer sur un marché d’exportation, qui est rarement leur marché principal.
Un bon exemple nous est donné par les mesures sanitaires et phytosanitaires qui encadrent l’offre de produits agroalimentaires. Sauf rares exceptions, ces régulations notifiées à l’OMC s’appliquent à toutes les entreprises, quelle que soit leur origine. Elles ont pourtant un impact négatif sensible sur les échanges commerciaux (1). Une recherche récente (2) portant sur les services le confirme. Les régulations des marchés de services s’appliquent à tous les acteurs présents sur le marché et sont bien distinctes des barrières discriminantes qui, elles, font l’objet de négociation au sein du GATS. Pourtant nous montrons sans ambiguïté que ces régulations ont bien un caractère discriminant de facto : elles réduisent fortement le commerce international de services, non parce qu’elles contraignent l’activité de toutes les entreprises (et donc aussi les importations), mais bien parce que les firmes étrangères y sont plus sensibles que les entreprises locales. A l’évidence, réguler les marchés sans créer de nouvelles restrictions aux échanges n’est pas si simple...
Références (1). Voir par exemple : Disdier, Fontagné et Mimouni (2008), « The Impact of Regulations on Agricultural Trade : Evidence from SPS and TBT Agreements », American Journal of Agricultural Economics, 90(2) : 336–350.
(2) Crozet, Milet et Mirza, The discriminatory effect of domestic regulations on international services trade : evicence from French firm-level data, mimeo.

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Romain Rancière
« Le G20 et la réforme du Système Monétaire International »
Sur la question de la réforme du Système Monétaire International (SMI), le spectre des opinions est large. A un extrême, on défend le laisser-faire : chaque pays doit mettre en place les politiques qui lui permettent de bénéficier des conséquences de la globalisation financière tout en réduisant son exposition aux crises. A l’autre extrême, on prône le retour au système de Bretton-Woods : la stabilité financière internationale est vue comme un bien public inestimable et justifie des réformes aussi drastiques que l’avènement d’une nouvelle monnaie mondiale. Si l’optimum est certainement quelque part entre les deux, les réalités de la négociation internationale contraignent fortement les avancées possibles.
Par exemple, la seule façon efficace de contraindre la Chine à réévaluer le Yuan serait de lier les questions de politiques de changes aux questions de politiques commerciales, en assimilant le mercantilisme monétaire à du dumping commercial. Autant dire que le consensus politique international pour une telle avancée est loin d’être acquis...et ceci avant longtemps.
Deux pistes plus réalistes méritent cependant d’être poussées durant la présidence française du G20. La première concerne le rebalancement des réserves de change. En dix ans, la part de l’euro dans les réserves de change mondiale est passée de 18 % à 28 %, et ce durant une période où le niveau global des réserves de change explosait, passant de 2 à 8 trillions de dollars US. Le développement engagé d’une dette souveraine en euros, garantie par l’ensemble des Etats de la zone, pourrait accélérer davantage ce mouvement. L’ouverture du compte de capital chinois permettrait l’avènement d’une troisième monnaie de réserve. La multipolarité en matière de devise n’est cependant pas sans risques : un changement soudain de perception des marchés quant à la solidité fiscale des émetteurs de telle ou telle monnaie pourrait avoir des effets déstabilisateurs puissants.
La deuxième piste concerne la prévention des crises financières. Depuis la crise asiatique, les pays émergents font de l’auto-assurance en accumulant des montants gigantesques de réserves de change pour faire face au risque d’un possible retournement des flux de capitaux. Si bien que des pays en développement rapide avec des besoins sociaux ou d’infrastructure importants sont assis sur des trésors de guerre à faible rendement. La solution est de passer de l’auto-assurance à l’assurance. Il s’agit d’inciter à la mise en commun des réserves de changes, de donner au FMI les moyens d’accroître les lignes de crédits de précaution, et de systématiser les accords d’échange entre banques centrales destinés à fournir de la liquidité internationale en temps de crise.
En poussant ces deux pistes, la présidence française du G20 pourrait contribuer utilement à deux préoccupations majeures : la réduction des déséquilibres et la prévention des futures crises.