La science économique au service de la société

Une économie sans industrie


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EDITO Lionel Fontagné, Une économie sans industrie

Chaire associée à PSE, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
« The factory free economy », est le titre légèrement provocateur qu’a choisi la direction thématique Mondialisation et Développement du Labex OSE coordonné par PSE pour une conférence qui s’est tenue à Paris du 17 au 19 juin (1). Elle constitue l’étape intermédiaire d’un grand projet du CEPREMAP relatif à la transition vers l’économie post-industrielle.

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La désindustrialisation s’est accélérée pendant la crise de 2008-2009 dans la plupart des pays avancés. Pourtant, la tendance à la baisse de la part de l’industrie dans l’emploi, voire dans la valeur ajoutée, a commencé des décennies plus tôt, à la faveur du déplacement de l’avantage comparatif des économies émergentes vers des produits à plus haute valeur ajoutée, et d’une part croissante de ces pays dans la demande mondiale : les usines suivent les clients. Cette transition vers une économie sans usine a suscité, en Amérique du Nord et en Europe, des propos alarmants. Pourtant, des sociétés qui, comme Apple, concentrent la recherche et l’innovation aux Etats-Unis, mais n’y ont plus d’usines, pourraient devenir la norme dans l’avenir.
Que peut dire l’analyse économique à propos de ces mutations ? La question peut être abordée sous l’angle de préférences des consommateurs « non-homothétiques », c’est-à-dire dont la demande se reporte des biens vers les services au fur et à mesure que leur revenu augmente. Cette approche reproduit le fait que, en coupe instantanée, les ménages ont des parts budgétaires assez différentes pour les principaux postes de dépense selon leurs revenus. Parallèlement, les prix relatifs des biens agricoles, des biens industriels et des services changent avec le développement économique, ce qui peut être expliqué par des gains de productivité différents. En réponse à ces mouvements de prix, les ménages sont amenés à modifier leur consommation, et ce quelles que soient leurs préférences. Ce n’est que récemment qu’il est devenu possible de quantifier l’importance relative de ces deux mécanismes (2). De plus, ces évolutions sectorielles doivent rester cohérentes avec les faits stylisés de Kaldor caractérisant la croissance au niveau macro-économique, et c’est toute la difficulté sur laquelle ont buté les travaux jusqu’à récemment : concilier ces régularités avec la « déformation » sectorielle de l’économie, en modélisant correctement les effets revenus (3).
Les évolutions de l’industrie dans l’OCDE en termes d’emploi ou de valeur ajoutée, depuis 1970, sont globalement en accord avec ce schéma mais globalement seulement. Le secteur des technologies de l’information et de la communication fait exception à la règle de Baumol (4) selon laquelle l’économie s’orienterait inexorablement vers des activités à plus faibles gains de productivité (5). Ce n’est pas un hasard : dans ce secteur industriel, la frontière avec les services est ténue, tandis que le fractionnement international des chaînes de valeur est profond. En 2007, 87% des sociétés manufacturières françaises vendaient aussi des services, 33% vendaient majoritairement des services et 26% ne vendaient plus que des services (6). Et aux Etats-Unis, une nouvelle catégorie statistique a même vu le jour : les « Factory-Less Goods Producers » (7). Entre industrie et services, il ne faut plus choisir.
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1. https://sites.google.com/site/ffeconference/home
2. Timmo BOPPART, 2011, Structural change and the Kaldor facts in a growth model with relative price effects and non-Gorman preferences, mimeo, Université de Zurich.
3. Nicholas KALDOR, 1961, Capital Accumulation and Economic Growth, In The Theory of Capital, ed. by Friedrich A. Lutz and Douglas C. Hague. London : Macmillan.
4. William BAUMOL, 1967, Macroeconomics of Unbalanced Growth : The Anatomy of Urban Crises, American Economic Review, 57 (3) : 415-26.
5. Jean IMBS, 2013, Structural Change in the OECD : Some Facts, mimeo, PSE.
6. Matthieu CROZET, Emmanuel MILET, 2013, Is Everybody in Service ? The Servitization of French Manufacturing Firms, mimeo, PSE.
7. Andrew BERNARD, Teresa FORT, 2013, Factory-less Goods Producers in the US, mimeo, Tuck School of Business.