La science économique au service de la société

Lettre trimestrielle PSE n°29 - mars 2017

TRIBUNE. Philippe Gagnepain - Les enjeux de la tarification du transport public urbain

INVITÉ. Orla Doyle : “Mettre en œuvre des programmes ciblés plutôt qu’universels peut être une solution efficace pour réduire les inégalités dans l’enfance”

PARCOURS. Marion Mercier : dynamique et passionnée

TRIBUNE. Nuno Coimbra - Le risque et le secteur bancaire : la fable de la réglementation et des incitations

MASTERS. Provenance et destination des mastériens APE et PPD

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TRIBUNE. Philippe Gagnepain - Les enjeux de la tarification du transport public urbain

Chaire associée à PSE, professeur à l’Université Paris 1

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La tarification du transport public urbain est un outil de première importance pour les autorités publiques soucieuses de la maximisation du bien-être social. Une politique tarifaire répond à plusieurs objectifs : garantir le financement du coût de production du service, rendre compte de la qualité ou de la valeur du service à l’usager, promouvoir les objectifs d’équité, tels que l’aide au déplacement des usagers aux revenus les plus faibles, et encourager les voyageurs à substituer le transport en commun à leur véhicule privé.

LA PERTINENCE D’UNE APPROCHE DIFFERENCIEE DES HEURES DE POINTE ET CREUSES
Certains de ces objectifs étant en conflit les uns avec les autres, les économistes évaluent la mise en place des tarifs de transport public urbain en fonction de ce qu’ils perçoivent comme étant les critères les plus importants. Face à l’augmentation des niveaux de congestion dans les réseaux de transport, la prescription économique est que les usagers paient les coûts marginaux sociaux de leur consommation. Cela implique que l’usager devrait payer un prix égal au coût marginal de production du service plus le coût additionnel imposé à tous les autres usagers. Dans de nombreux services de transport public, la présence d’un plus grand nombre de voyageurs fait augmenter les coûts supportés par les autres passagers, en particulier lorsque des problèmes de congestion surgissent. Sur cette base, la littérature économique suggère de mettre en place une tarification optimale différenciée sur la base des heures de pointe et des heures creuses au cours de la journée. Ainsi, le prix du titre de transport devrait être plus élevé aux heures de pointe.

LE PARADOXE DU TARIF UNIQUE
Le débat public s’est récemment concentré sur la question de la pertinence du tarif unique actuellement mis en œuvre pour le forfait Navigo en Ile de France. La recherche en économie a montré depuis longtemps déjà que le tarif unique, qui charge un prix constant quelle que soit la durée du voyage ou la période où le voyage est effectué, n’est pas équitable (1). Avec un tarif unique, les groupes d’usagers qui paient des prix disproportionnellement élevés par rapport au coût des services sont les voyageurs de courte distance, les personnes sans emploi, les familles sans véhicule privé à disposition, et les personnes qui voyagent pour des raisons non-professionnelles. Ces usagers sont ceux qui voyagent essentiellement durant les heures creuses de la journée. Ainsi, le tarif unique demande aux usagers aux revenus les plus faibles de subventionner les voyages de ceux disposant de revenus plus élevés (ceux voyageant durant les heures de pointe).

UNE SEULE VERITABLE SOLUTION : LA DIMINUTION DU TRAFIC ROUTIER
Il est important de noter également que le succès de toute politique tarifaire repose sur une réflexion plus large sur les prix pratiqués dans d’autres secteurs de transport concurrents. En particulier, tant que les véhicules privés seront sous-taxés, les politiques tarifaires du transport public se révèleront en partie inefficaces. La Mairie de Paris a récemment mis en place un plan ambitieux de réduction du trafic des véhicules privés à l’intérieur de Paris. On ne peut que l’encourager à poursuivre ces efforts et à songer sérieusement à introduire des péages à l’entrée de l’agglomération pour les véhicules privés. Cette stratégie permettrait de réduire la congestion sur la route, de réduire les temps de déplacement, notamment aux heures de pointe, et de réduire les coûts d’exploitation des transports publics. Les élasticités prix de la demande de transport public seraient considérablement plus élevées si les déplacements en véhicules privés étaient tarifés à un niveau plus proche de leur véritable coût marginal social. Enfin, les recettes issues de ces péages permettraient de financer directement le développement du transport public en Île-de-France.
Les péages urbains sont effectifs dans plusieurs capitales européennes ; c’est le cas notamment à Londres, Stockholm, et Dublin. Paris se doit de montrer l’exemple et de diminuer des taux de pollution aujourd’hui difficilement acceptables.

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(1) Ugolik, Wayne R., and Clark B. Leutze. Who pays the highest and lowest per-mile transit fares ? Vol. 136. New York State Department of Transportation Planning Division, 1978. Cervero, Robert. “Flat versus differentiated transit pricing : what’s a fair fare ?” Transportation 10.3 (1981) : 211-232


INVITÉ. Orla Doyle : “Mettre en œuvre des programmes ciblés plutôt qu’universels peut être une solution efficace pour réduire les inégalités dans l’enfance”

Quels sont vos thèmes de recherche ?
Dans mon travail, j’essaie de comprendre les inégalités d’aptitudes chez les enfants, entre les groupes économiques et sociaux. Les enfants issus de familles défavorisées tendent à avoir un QI plus faible et des problèmes de comportement plus conséquents, alors mon but est d’analyser comment nous pouvons réduire ces inégalités, notamment avec des programmes d’intervention précoce. Depuis huit ans, je mène un test expérimental intitulé « Preparing for Life », en Irlande. Nous avons recruté et assigné au hasard des femmes enceintes à un groupe dit « de traitement » ou à un groupe témoin. Les familles du premier groupe ont participé à un programme de mentorat (1) avec des visites à domicile et au programme « Triple P » (2) depuis la grossesse jusqu’à l’âge de 5 ans. Il s’agit donc d’une recherche longue et intensive durant laquelle nous avons évalué les résultats des enfants et des parents.

Avez-vous les résultats de cette expérience ?

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Nous avons terminé le test l’été dernier et avons déjà publié de nombreux articles, d’autres sont en cours de rédaction. Nous avons constaté que le programme a eu un impact significatif sur les compétences des enfants. Les enfants du groupe de traitement avaient un QI plus élevé et étaient moins susceptibles de développer des problèmes de comportement que les enfants du groupe témoin. Nous avons également observé des améliorations dans le comportement pro social (3) et des améliorations de la santé : en particulier les enfants dans le groupe de traitement étaient moins susceptibles d’être obèses ou en surpoids, cela est probablement dû à une meilleure nutrition. D’ailleurs, si vous regardez les données, toujours en Irlande, on remarque que les enfants issus des milieux socio-économiques les moins avantagés sont plus susceptibles d’être en surpoids ou obèses.

Selon vous, que devraient faire les gouvernements pour réduire les inégalités dans l’enfance ?
Mettre en œuvre des programmes ciblés plutôt que des programmes universels pourrait être une solution efficace. En Irlande, il existe une tradition d’approche universelle, par exemple, chacun reçoit de l’argent tous les mois selon le nombre d’enfants par foyer, quelle que soit sa « position » sociale. Ainsi, l’affectation d’une partie des ressources à des foyers aisés qui, probablement, en ont moins besoin que d’autres franges de la population n’est pas une stratégie efficace : il serait préférable de diriger les ressources, comme les programmes d’intervention précoce, vers ceux qui en ont le plus besoin.

Selon vous, sur quoi devraient se concentrer les prochaines recherches ?
L’accent doit être mis sur la compréhension des mécanismes sous-tendant les programmes d’intervention précoce. En effet, nous faisons des tests contrôlés randomisés et nous estimons les effets du traitement et ce qui nous permet de savoir si le programme fonctionne, mais ces tests ne vous disent pas pourquoi le programme est efficace. Donc, nous devons nous concentrer sur les mécanismes structurels qui expliquent cette efficacité.

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(1) Par exemple, les mentors utilisent la formation par l’exemple pour montrer aux parents comment ils pourraient favoriser le développement du langage chez leur enfant.
(2) « Parenting program from pregnancy »
(3) Ensemble de comportements humains volontaires, dirigés vers autrui dans une logique d’entraide et dans le but de lui apporter de la joie, du bien-être physique, psychologique ou du réconfort.

Orla Doyle est chercheuse à l’UCD Geary Institute et chargée de cours à l’UCD School of Economics. Elle effectue actuellement des études qui évaluent l’efficacité de l’intervention précoce dans la vie des enfants afin d’améliorer leurs conditions de vie futures.


PARCOURS Marion Mercier : dynamique et passionnée

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Sur les bancs de l’ENS Cachan, Marion a déjà une idée de ce qu’elle veut faire plus tard : de la recherche ! Pendant trois ans, sa vie est partagée entre les cours à l’ENS et les cours à Paris 1, où elle suit notamment un master en économie internationale. En quittant l’ENS, Marion rejoint la première promotion du master 2 PPD (Politiques Publiques et Développement) à PSE. Cette année a été pour elle l’occasion de confirmer son envie de réaliser une thèse, de suivre une formation d’excellence et de compléter son cursus précédent. Elle commence sa thèse en septembre 2010, intitulée : “Migration, development and politics in the homeland” sous la co-direction de Thierry Verdier (PSE-ENPC) et Lisa Chauvet (DIAL-IRD). Ce qu’elle retient de ces quatre années ? Des échanges riches avec des chercheurs passionnants, une confrontation avec la réalité du travail de chercheur : les aléas de la recherche, le travail solitaire et l’apprentissage de nouvelles méthodes. Marion décroche un post-doctorat juste après sa soutenance, où elle travaille pendant un an sur un projet de recherche à l’Université Libre de Bruxelles (ECARES). Elle obtient ensuite un nouveau post-doctorat, cette fois ci à l’Université Catholique de Louvain, où elle travaille sur son propre projet financé par la Commission Européenne. Ses recherches portent actuellement sur la manière dont les diasporas peuvent interagir avec leur pays d’origine. Plus précisément, comment les migrants peuvent jouer un rôle dans les conflits dans leur pays d’origine, favoriser la paix ou au contraire aggraver les conflits…
Pour la suite, Marion n’a pas de doute : elle veut continuer à travailler dans le milieu académique. Toujours sur les questions de développement, l’économie politique et les migrations, qui la passionnent !

Marion Mercier, Alumni PPD, Chargée de recherche à l’IRES, Université Catholique de Louvain, DIAL Research Associate, IZA Research Affiliate


TRIBUNE. Nuno Coimbra - Le risque et le secteur bancaire : la fable de la réglementation et des incitations

Nuno Coimbra est Assistant Professor à Paris School of Economics

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Depuis la crise financière, il existe un débat ouvert sur la meilleure façon de réglementer le secteur bancaire. Les médias ont eu tendance à se concentrer sur le fait de savoir s’il faut plus ou moins de réglementation, en concluant généralement que davantage de réglementation est nécessaire. Mais cette question de la « quantité » de réglementation est-elle vraiment la plus pertinente ?

LA REGLEMENTATION COMME HABITAT FINANCIER
Un rôle central de la réglementation est de veiller à ce que les institutions financières ne prennent pas de risques excessifs et soient transparentes quant aux risques pris. Elle fixe les conditions dans lesquelles les banques et les autres institutions financières opèrent, en d’autres termes le régulateur peut modifier « l’habitat » dans lequel les décisions seront prises. Mais il ne micro-gère pas les institutions financières et peut au mieux concevoir des incitations qui mènent à des décisions jugées comme socialement plus désirables. Pour définir et faire évoluer la réglementation bancaire et financière, avec pertinence et prudence, il est alors crucial de comprendre pourquoi une prise de risque excessive par les acteurs est une préoccupation (1) mais aussi de cerner les limites et les distorsions que la réglementation crée.

Alors, pourquoi le risque excessif est-il un problème ? Il existe de nombreuses incitations à la prise de risques excessifs dans le secteur financier, tant au niveau institutionnel qu’au niveau individuel. Pour une institution financière, la présence d’une responsabilité limitée réduit les inconvénients potentiels des stratégies à risque. Si une institution fait faillite, ses actionnaires sont protégés par la responsabilité limitée, et ne prêtent guère voire pas attention à la taille des pertes. Toutefois, ils bénéficient de l’intégralité des rendements lorsque la stratégie risquée s’avère gagnante. Ceci est appelé la “valeur d’option du défaut” des stratégies risquées, et induit une prise de risque excessive. De plus, la possibilité d’un renflouement de l’Etat accentue ce problème et accroît la valeur d’option du défaut et la prise de risque, puisque la perte est encore moins préoccupante dans le cas d’une stratégie perdante. En présence de bonus liés à la performance, un mécanisme similaire est à l’œuvre au niveau individuel : l’individu bénéficie d’un bonus potentiellement important lorsque la stratégie risquée est gagnante mais il n’y a pas de malus lorsque cette dernière est perdante.

LES DISTORSIONS CONCURRENTIELLES DE LA RÉGLEMENTATION
Il est également clé de reconnaître que la réglementation introduit des distorsions concurrentielles au sein du secteur financier. En effet, la mise en œuvre de la réglementation diffère souvent d’une institution à l’autre, par conséquent, savoir naviguer entre les différentes régulations offre un avantage concurrentiel notable. Lorsque le cadre réglementaire devient très complexe, cette dimension de la compétitivité pourrait même s’avérer dominante. Les petites institutions pourraient être incapables de faire face à la concurrence en raison de coûts de réglementation importants, laissant le secteur financier fortement concentré et potentiellement plus fragile car la plupart des institutions encore présentes seraient (à tort ?) perçues comme « trop grandes pour échouer » (too big to fail). Dans un article récent avec Hélène Rey (1), nous montrons que lorsque les intermédiaires diffèrent dans leur capacité à « naviguer entre les réglementations », alors un environnement de faibles taux d’intérêt conduit à un secteur financier plus risqué, plus concentré et très endetté. Cela est dû au fait que les plus « agiles » seront en mesure de prendre plus de risques, et d’utiliser les taux d’intérêt bas pour bénéficier d’un effet de levier plus fort et évincer du marché les institutions plus prudentes. Dans un autre article (2), je montre également comment la réglementation peut aggraver une crise de la dette souveraine si les banques sont obligées de vendre des obligations souveraines qui deviennent risquées. Cette vente à des prix sacrifiés diminue à son tour les prix des obligations, augmentant ainsi les taux d’intérêt et aggravant la situation financière du gouvernement. La réglementation qui oblige les banques à vendre des actifs à des prix très bas pourrait aggraver les crises financières, en créant une spirale descendante des prix et des bilans.

Les organismes de réglementation doivent alors équilibrer une limitation du risque avec une variété de préoccupations relativement absentes du champ médiatique. Bien qu’il soit tentant de croire que les régulateurs peuvent parfaitement contrôler le risque bancaire, cela ne correspond pas souvent à la réalité. La question des réglementations complexes visant à promouvoir un secteur financier plus concentré est particulièrement vitale, car nous risquons de diminuer le risque de défaillance de chaque institution, tout en augmentant le risque systémique global, dû à la promotion de la concentration et la présence d’institutions dites « too big to fail ».

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(1) Même si un secteur financier opérationnel est tenu de prendre certains risques
(2) Coimbra, N. and Hélène Rey (2017) : Financial Cycles with Heterogeneous Intermediaries, NBER Working Papers 23245, National Bureau of Economic Research, Inc.
(3) Coimbra, N. (2016) : Sovereigns-at-Risk : A dynamic model of sovereign debt and banking leverage, mimeo


MASTERS. Provenance et destination des mastériens APE et PPD

Les 41 pays d’origine de nos étudiants en masters, rentrée 2016

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Les 25 pays dans lesquels sont partis étudier ou travailler les anciens masteriens (depuis 2012)

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