La science économique au service de la société

Mes collègues ont-elles / ont-ils une influence sur la façon dont je perçois ma santé ?

Lien court vers cet article : http://bit.ly/1YTPt60

Eve Caroli et Lexane Weber-Baghdiguian

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Les recherches sur le genre et la santé ont, de longue date, mis en évidence un paradoxe surprenant : les femmes déclarent systématiquement être en plus mauvaise santé que les hommes, alors même que leur probabilité de décès est plus faible que celle des hommes tout au long de leur vie. Une première explication de ce décalage entre mortalité et santé déclarée repose sur l’idée qu’il existe de « vraies » différences de santé, tant physiologiquement, qu’en termes d’effets réels sur la vie quotidienne : les femmes souffriraient, plus que les hommes, de maladies chroniques à l’origine de limitations sévères de leur activité. Toutefois, le tableau se complique si l’on tient compte du fait que les hommes souffrant de certaines maladies spécifiques sont plus susceptibles que les femmes d’être hospitalisés et de mourir. Au total, il semble que les symptômes ressentis par les individus apportent peu d’informations sur la sévérité de la pathologie dont ils sont atteints. Une seconde explication – potentiellement complémentaire à la première – de l’écart de santé auto-déclarée entre hommes et femmes repose sur les différences de comportements déclaratifs entre les deux sexes : à état de santé donné, les femmes déclareraient une santé moins bonne que les hommes. La question de savoir si les femmes tendent à sur-déclarer les problèmes de santé – en particulier mineurs – par rapport aux hommes et si oui, dans quelle proportion, fait encore largement débat aujourd’hui.

Dans cet article, Ève Caroli et Lexane Weber-Baghdiguian proposent un nouvel éclairage en étudiant dans quelle mesure les différences de comportements déclaratifs en matière de santé existant entre hommes et femmes peuvent être déterminées par des normes sociales. Leur analyse porte, en particulier, sur l’importance de ces normes dans l’environnement de travail comme déterminant des différences de santé auto-déclarée observées. En utilisant des données européennes (1), les auteures montrent, dans un premier temps, que les femmes se déclarent en moins bonne santé que les hommes quelle que soit la variable de santé que l’on considère – à l’exception des problèmes d’audition et des maladies cardiovasculaires. Dans un second temps, elles « capturent » les normes sociales par le biais de la structure par sexe dans l’environnement de travail ; elles montrent que les individus – tant hommes que femmes – travaillant dans des environnements où les femmes constituent la majorité des salariés, déclarent être en moins bonne santé que les individus travaillant dans des environnements où les hommes sont majoritaires, toutes choses égales par ailleurs. Ces résultats se vérifient également lorsque l’on prend en compte les conditions de travail, ce qui permet notamment d’exclure l’hypothèse selon laquelle les environnements de travail féminins seraient caractérisés par des conditions de travail systématiquement plus difficiles, aboutissant mécaniquement à des taux de déclaration « mauvaise santé » plus élevés. Les auteures en concluent que les normes sociales associées à un environnement de travail essentiellement féminin (respectivement masculin) jouent un rôle considérable, tout du moins sur le lieu de travail, pour expliquer les différences observées dans les comportements déclaratifs des hommes et des femmes en matière de santé.

(1) Enquête Européenne sur les Conditions de Travail (EWCS) portant sur plus de 30.000 individus originaires de 30 pays en 2010.

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Titre original de l’article académique : “Self-Reported Health and Gender : the Role of Social Norms”
Publié dans : Social Science & Medicine, 153, pp. 220-229, 2016
Téléchargement : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26921837

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