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Le commerce de la Chine avec les anciennes colonies occidentales

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Laurent Didier et Pamina Koenig

L’augmentation spectaculaire du commerce chinois durant la deuxième moitié du 20e siècle est l’objet récurrent d’articles dans les médias occidentaux, ceux-ci mettant en avant les raisons évidentes de cet essor : la transition du pays vers un système d’économie de marché, suivi de changements politiques en 1992, son rôle prépondérant comme centre de production pour les pays étrangers, son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, etc. Une explication singulière de l’augmentation du commerce chinois est également présentée, à savoir que la Chine entretiendrait avec certains pays, en particulier avec les anciennes colonies, des relations commerciales privilégiées. Les entreprises chinoises ont certes réalisé de multiples investissements dans les infrastructures liées au commerce de différents pays et notamment au sein du continent africain. Pouvons-nous toutefois affirmer que la Chine s’est substituée aux anciennes puissances coloniales en tissant des liens commerciaux étroits et informels avec ces pays ? Prenons par exemple l’Algérie et le Ghana. La part de la Chine dans leurs importations a fortement cru au cours des dernières décennies, passant de montants négligeables en 1950 à respectivement 9,5% et 20,4% en 2011. Il est utile d’identifier les différentes raisons pouvant expliquer une hausse aussi significative.

Trois explications sont avancées par les chercheurs. L’explication la plus immédiate repose sur des déterminants bilatéraux, c’est-à-dire le développement d’éléments communs à ces paires de pays et pas à d’autres, comme par exemple l’influence politique de la Chine sur chacun de ces pays, ou la signature d’accords de commerce entre eux. Ensuite, pour exporter de gros volumes, un pays doit être économiquement important : à parts égales, les Etats-Unis, l’Inde ou la Chine sont parmi les principaux exportateurs mondiaux tout simplement du fait de leur taille économique. Suivant cette explication, l’augmentation des importations des anciennes colonies en provenance de la Chine résulte pour partie de l’augmentation sans précédent de la capacité d’exportation de la Chine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, les épisodes d’indépendance ont entraîné une redistribution des flux commerciaux des anciennes colonies vers l’ensemble de leurs partenaires, à la suite de la détérioration des relations entre ces colonies et leur ancien pays colonisateur.

Laurent Didier et Pamina Koenig ont exploré et quantifié ces facteurs, susceptibles d’expliquer l’évolution de la part de la Chine dans le commerce des pays ayant acquis leur souveraineté après 1939. Au cours de la période 1990-2010, les flux commerciaux entre la Chine et les anciennes colonies ont été multiplié par quasiment trois. Les auteurs montrent que le principal facteur expliquant cette progression est la hausse des PIB, et en particulier du PIB chinois. La redistribution des échanges n’a joué qu’un rôle secondaire. Il est possible de calculer le commerce hypothétique que l’on aurait observé chaque année si cette redistribution des flux n’avait pas été créée par l’indépendance : en 2010, on trouve que le commerce des anciennes colonies avec la Chine est 15% plus élevé que le niveau qu’il aurait atteint si ces pays étaient restés dans leurs empires coloniaux respectifs. Enfin, les explications bilatérales, hors accords de commerce et droits de douane, jouent un rôle mineur : les variations dans les préférences bilatérales informelles, telle l’influence politique, expliquent seulement 5% de la croissance du commerce entre la Chine et les anciennes colonies au cours de la période.

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Titre original de l’article : « Has China replaced colonial Trade ? »

Publié dans : Review of World Economics · Décembre 2018

Disponible à : https://www.researchgate.net/publication/329770242_Has_China_replaced_colonial_trade