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Les épisodes de sécheresse au Mali provoquent-ils des migrations massives ?

Court permalien à cet article : https://bit.ly/2V33XZ3

Dimitri Defrance, Esther Delesalle et Flore Gubert*

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Les alertes récurrentes des experts du GIEC à propos de l’ampleur des dérèglements climatiques à venir s’accompagnent souvent de messages alarmistes véhiculés par certains sur le nombre de migrants climatiques ou environnementaux susceptibles d’arriver en Europe. S’il est indéniable que le climat agit sur la mobilité humaine, le nombre de personnes qui quitteront leur région d’origine dans les années à venir à cause des effets directs ou indirects des dérèglements climatiques est difficile à estimer de façon précise. En témoigne la fourchette extrêmement large des estimations relatives au nombre de « migrants climatiques » à l’horizon 2050.

Dans cet article, Dimitri Defrance, Esther Delesalle et Flore Gubert combinent des données de recensement de population et des données climatiques pour estimer le volume de migrations induites par les épisodes de sécheresse qui ont frappé le Mali depuis la fin des années 1980. L’intérêt d’une telle analyse est de comprendre comment le climat a pu influencer la mobilité et donc la répartition spatiale de la population malienne dans le passé, pour mieux anticiper ce qui pourrait advenir dans le futur. Malgré leurs limites, les recensements permettent de construire plusieurs variables d’intérêt comme le taux de croissance de la population ou le taux d’immigration nette à l’échelle des 11 000 localités maliennes, au cours des deux périodes intercensitaires 1987-1998 et 1998-2009. En appariant ces variables avec des données sur les valeurs mensuelles des précipitations et des températures, et en ayant plus précisément recours à l’indice SPEI (1) il est possible d’estimer l’influence de la fréquence des épisodes de sécheresse enregistrés à chaque période intercensitaire sur les dynamiques migratoires à une échelle géographique très fine. Le recensement de 2009 enregistre également le nombre de départs vers l’étranger qui ont eu lieu chaque année entre 2004 et 2009 depuis chaque localité malienne, et permet d’étudier le lien entre épisodes de sécheresse et migration internationale.
Les résultats montrent que les sécheresses qui ont inégalement frappé les régions du Mali ont eu pour effet d’accentuer les migrations des zones rurales vers les zones urbaines. Cela est vrai pour les hommes comme pour les femmes, et quelle que soit la classe d’âge considérée. Sur la période 1998-2009, par exemple, les épisodes de sécheresse ont entraîné plus de départs que d’arrivées dans les localités rurales prises dans leur ensemble, entraînant une perte nette d’environ 13 000 hommes et femmes d’âge actif par an. L’effet mesuré diffère toutefois selon les régions et la capacité des ménages ruraux à s’adapter aux contraintes climatiques : il s’estompe dans les localités rurales caractérisées par des cultures plus diversifiées et dans celles situées dans les zones soudano-sahélienne et soudano-guinéenne en moyenne plus arrosées. Les chocs climatiques ont également eu un impact sur la mobilité internationale : sur la période 2004-2009, chaque année sèche supplémentaire dans les 5 ans précédant la migration enregistrée a entraîné une augmentation du taux d’émigration vers l’étranger de 0,19 point de pourcentage (+15,3%). Environ 2 000 départs supplémentaires par an peuvent ainsi être attribués aux épisodes de sécheresse ayant frappé le Mali au cours de la décennie 2000 : 1500 vers les pays limitrophes et 500 vers la France. Il s’agit donc d’une augmentation significative, mais loin d’être massive.

Dans les décennies à venir, la multiplication attendue du nombre d’événements climatiques extrêmes, ainsi que la forte croissance de la population malienne devraient contribuer à faire augmenter ces chiffres. A un horizon de 40 ans, le nombre de départs additionnels des zones rurales pourraient ainsi s’élever à plus de 130 000 par an, soit 10 fois plus qu’au cours de la décennie 2000. Mais les départs vers l’étranger provoqués par les sécheresses devraient rester d’une ampleur limitée, autour de 10 000 par an.

(1) L’indice SPEI est l’indice de précipitations et d’évapotranspiration normalisé. Voir Vicente-Serrano, S., Beguería, S., et López-Moreno, J. (2010). A multiscalar drought index sensitive to global warming : the standardized precipitation evapotranspiration index. Journal of climate 23 (7) : 1696-1718.

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Références
Titre original de l’article : Is migration drought-induced in Mali ? An empirical analysis using panel data on Malian localities over the 1987-2009 period
Publié dans : Working Paper LEDa DT/2020-01
Disponible sur : https://ideas.repec.org/p/dia/wpaper/dt202001.html

Crédit photo : m.mphoto (Shutterstock)

* Membre de PSE