La science économique au service de la société

Taux d’épargne optimal et préférences hétérogènes des agents. Une approche théorique

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Jean-Pierre Drugeon et Bertrand Wigniolle

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Comment est-il possible de déterminer le taux d’épargne optimal pour une société donnée ? Plus précisément, dans quelle mesure ses membres devront-ils renoncer à une partie de leur consommation présente pour bénéficier de montants plus importants dans le futur ? Afin de répondre à ces interrogations, Franck Ramsey retenait la fiction d’un « planificateur » qui déterminerait le sentier d’épargne au cours du temps tout en cherchant à maximiser le bien-être de la société. L’objectif du planificateur, censé représenter le bien-être social, était spécifié comme une somme escomptée – c’est la mesure de la préférence pour le présent de l’agent - de flux instantanés d’utilités, censée caractériser le bien-être d’un agent représentatif. Il est bon de noter qu’un tel objectif pouvait également s’entendre comme celui d’une « dynastie d’agents altruistes » ; dans cette interprétation le taux d’escompte représenterait le poids relatif des agents futurs par rapport au poids de la génération actuelle. Pour cette catégorie d’objectifs, le taux d’escompte, qui est au cœur de cet arbitrage entre futur et présent, joue évidemment un rôle crucial dans la détermination de la trajectoire optimale.

Dans cet article, Jean-Pierre Drugeon et Bertrand Wigniolle envisagent la question théorique du taux d’escompte sous un angle nouveau : comment introduire l’idée que les différents agents présents puissent être caractérisés par des taux d’escompte - des taux de préférence pour le présent - différenciés ? L’approche qui semble la plus simple consiste à prendre pour objectif du planificateur une moyenne des utilités définies sur les horizons de vie des différents agents puis de maximiser cette somme à partir d’une période initiale. Cette approche, retenue jusqu’à présent, est discutée de deux points de vue par les auteurs. En premier lieu, en prenant une somme de critères escomptés avec des taux d’escompte différents, seules les consommations de l’agent le plus patient (celui dont le taux d’escompte est le plus faible) seront valorisées dans le long terme, le poids des consommations des autres agents devenant négligeable. La planification optimale de long terme assignerait ainsi une consommation nulle à tous les agents nonobstant le plus patient qui pourrait, a contrario, bénéficier de montants de consommation positifs. De plus, l’accumulation optimale à long terme serait uniquement déterminée par la valeur du taux d’escompte de cet agent le plus patient. En second lieu, si l’on considère que la solution optimale n’est pas choisie une fois pour toutes par un planificateur originel, mais qu’elle résulte plutôt d’un choix période après période effectué par des incarnations successives du planificateur, alors la solution proposée évoquée ci-dessus s’avère temporellement incohérente : chacune des incarnations futures du planificateur aurait en effet intérêt à dévier par rapport à la projection initiale. Il vaut par ailleurs de souligner combien cette propriété d’incohérence temporelle est la résultante directe de l’hétérogénéité des taux d’escompte.
Dans ce cadre d’incarnations successives d’un planificateur social, Jean-Pierre Drugeon et Bertrand Wigniolle s’intéressent à la solution d’équilibre qui résulterait d’un jeu entre ces incarnations. Plus précisément, ils considèrent que chacune de ces incarnations prendra une décision markovienne qui ne dépendra que de la variable d’état de l’économie à l’instant où il agira. En anticipant que toutes les incarnations futures du planificateur continueront à jouer de la sorte, l’incarnation courante du planificateur retiendra la meilleure décision possible selon cette même règle. Le recours à cette nouvelle approche fondée sur la cohérence temporelle entre les incarnations successives du planificateur va se traduire par des propriétés de long terme radicalement nouvelles par rapport à la littérature existante : dans un contexte simplifié où les seules différences entre les agents procéderaient de leur préférence pour le présent, le planificateur choisirait ainsi une consommation égale pour tous les agents à toutes les dates – l’agent le plus patient ne serait plus le seul à consommer dans le long terme. Par ailleurs, l’accumulation de long terme serait déterminée par une moyenne pondérée des taux d’escompte des différents agents. La solution que les auteurs proposent leur semble à la fois plus robuste sur le plan théorique et plus satisfaisante quant à ses propriétés de long terme.

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Titre original de l’article académique : “On Time-Consistent Policy Rules for Heterogeneous Discounting Programs”
Publié dans : Documents de travail du Centre d’Economie de la Sorbonne n°2015.82
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01243669/

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