La science économique au service de la société

Que peuvent les politiques scolaires face aux inégalités sociales ?

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Luc Behaghel, Clément De Chaisemartin et Marc Gurgand

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Le rapport Equality of educational opportunity, plus connu sous le nom de « rapport Coleman » (1966) est souvent interprété comme une démonstration de relative impuissance des politiques scolaires : le milieu social et familial influerait plus sur les trajectoires des élèves que l’allocation des ressources publiques. Les effets limités des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) mis en évidence par la recherche semblent aller dans le même sens. Il y a, néanmoins, deux raisons de ne pas clore trop vite le dossier. La première est qu’il n’est pas simple d’évaluer l’impact de ressources supplémentaires sur des élèves défavorisés : que seraient-ils devenus sans ? Ainsi beaucoup d’études non expérimentales avant les années 2000 ont conduit à sous-estimer fortement les effets d’une baisse de la taille des classes. Par l’expérimentation contrôlée ou en tirant parti de la part d’arbitraire des seuils d’ouverture et de fermeture de classes, la recherche a fait de nets progrès, et il ne fait plus de doute aujourd’hui que réduire la taille de classe améliore en moyenne les apprentissages, tout particulièrement pour les élèves défavorisés. La seconde difficulté est que beaucoup de dispositifs évalués ne concentrent en fait que des ressources limitées sur les élèves défavorisés – ça a été longtemps le cas des ZEP jusqu’à la politique de dédoublement en CP. L’absence d’impact apparent peut alors venir du fait qu’il faut un niveau minimal de ressources pour changer la donne. Ici encore, la recherche récente en économie de l’éducation a montré, à rebours des évaluations existantes, que des changements conséquents des dépenses locales par élèves pouvaient avoir des effets massifs non seulement sur les carrières scolaires des élèves de milieu défavorisé, mais aussi sur leurs taux d’emploi et de pauvreté à l’âge adulte (Jackson, Johnson et Persico, 2014).

Le dispositif des internats d’excellence, évalué par Luc Behaghel, Clément de Chaisemartin et Marc Gurgand, peut être analysé comme une forme très intensive et volontariste de l’éducation prioritaire. Ces internats visent à promouvoir la réussite d’élèves motivés, mais qui ne bénéficient pas d’un environnement social ou familial favorable pour développer leur potentiel. Le régime de l’internat doit dès lors leur permettre de travailler dans de bonnes conditions et de bénéficier d’un encadrement adapté tout au long de la journée. Les auteurs étudient les effets du premier internat d’excellence, celui de Sourdun, sur deux cohortes d’élèves admis en 2009 et 2010. Leur évaluation repose sur le fait que face à un excès de candidatures éligibles, un tirage au sort a permis de constituer deux groupes dont la comparaison est valide : les élèves « test », admis à Sourdun, et les élèves « témoins », statistiquement comparables, mais qui n’y ont pas été admis. L’étude permet de documenter comment, pour un budget par élève quasiment doublé (du fait en particulier du coût de l’internat), les élèves de Sourdun bénéficient à la fois de plus de ressources (classes de 19 élèves en moyenne au lieu de 24, par exemple), mais aussi d’un cadre (discipline, disponibilité des enseignants, heures d’études) a priori propice. Un premier suivi effectué par enquêtes suggère de forts effets positifs sur les apprentissages. Ces effets se manifestent, toutefois, seulement deux ans après l’admission et restent concentrés sur les élèves dont le niveau scolaire était le plus élevé avant l’entrée à Sourdun. Un second suivi vient d’être mené sur des données administratives. Il met en évidence un très fort impact sur les carrières scolaires – en particulier, la probabilité d’obtenir un baccalauréat général augmente de 45%, et celle de l’obtenir avec mention s’accroît de 64%, et ces effets sont valides pour tous les élèves admis à Sourdun, et non plus seulement pour les meilleurs d’entre eux. La recherche se poursuit pour étudier le devenir de ces élèves dans le supérieur, puis sur le marché du travail. Mais les premiers résultats montrent déjà qu’il est possible, par un dispositif ciblé, de transformer radicalement les carrières scolaires d’élèves d’origine modeste, battant ainsi en brèche l’image selon laquelle les politiques scolaires seraient impuissantes face aux inégalités. Il n’en reste pas moins que cette politique fait aussi un choix : celui de concentrer des ressources importantes sur des élèves motivés et de niveau scolaire médian. L’évaluation de l’internat de Sourdun ne permet donc pas de dire si ce qui réussit avec eux serait également couronné de succès avec des élèves de niveau inférieur ou moins motivés. Mais elle pose en creux la question des actions à mener auprès de ces derniers, dans un contexte où les ressources supplémentaires affectées à l’éducation prioritaire restent limitées.

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Titre original de l’article académique :

  • « Avoir le bac : les effets de l’internat d’excellence de Sourdun sur la scolarité des élèves ».
  • « Ready for boarding ? The effects of a boarding school for disadvantaged students. »

Publié dans :

  • Notes IPP
  • American Economic Journal : Applied Economics, 9.1 : 140-64.

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