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Recours aux césariennes et inégalités sociales : pourquoi faut-il améliorer la préparation à l’accouchement en France ?

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Carine Milcent

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Contrôler les dépenses de santé et les employer plus efficacement est aujourd’hui un enjeu majeur. Le plan dévoilé par le Président E. Macron en septembre 2018 en est un exemple. Selon lui, le manque de finances des établissements de santé - qui sont pourtant au bord de l’implosion - ne serait pas la cause majeure de leur état actuel. Il met l’accent sur le besoin d’une restructuration organisationnelle des hôpitaux par le terme « handicap d’organisation ». Et s’il en allait de même pour certains actes médicaux ? Si, indépendamment de tout aspect financier, l’organisation même de la prise en charge, par exemple de la patiente durant sa grossesse, jouait un rôle sur le mode d’accouchement pratiqué ?

Le taux de recours à la césarienne fait régulièrement débat. A partir de données portant sur les années 2008-2014 dans le département des Yvelines en France, est examiné l’impact de facteurs non médicaux sur ce recours. Dans cette étude, Carine Milcent et Saad Zbiri montrent l’importance de la préparation à l’accouchement sur la probabilité d’accoucher par césarienne. De surcroît, les auteurs révèlent que la participation aux séances de préparation à l’accouchement est liée à la catégorie socio-économique de la patiente. Plus la patiente est socio-économiquement défavorisée et moins elle participe à ces séances. Or, ils montrent, comme déjà montré par d’autres études sur des pays européens ou les Etats-Unis, que le niveau socio-économique des femmes impacte la probabilité d’accoucher par césarienne. Le résultat est donc une relation directe et indirecte des inégalités sociales menant à la césarienne : Les femmes les moins favorisées ont plus de chance d’accoucher par césarienne. Et, le moindre suivi des séances d’accouchement par les patientes les plus défavorisées explique qu’elles accouchent davantage par césarienne. Ce taux de césarienne est préoccupant car l’accouchement par césarienne, lorsqu’il est non requis, accroît le risque de mortalité maternelle, de morbidité maternelle et néonatale et de complications à court ou long terme incluant les accouchements ultérieurs. A ces risques accrus, s’ajoute un coût financier plus élevé. Le taux de césariennes médicalement justifié a été établi à environ 10-15% par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ce seuil avait été recommandé en 1985 et à nouveau confirmé par l’OMS en 2015. Or, en France, ce taux est de 21%.
Cette étude permet ainsi de montrer comment l’amélioration du suivi médical lors de la grossesse et un meilleur ciblage des femmes enceintes les plus défavorisées permettraient d’améliorer la qualité des soins tout en réduisant les dépenses pour la Sécurité Sociale. De façon synthétique, un accouchement par voie basse a un coût pour la collectivité de l’ordre de 2 500 euros ; ce coût est 40% plus élevé pour les césariennes. Le surcoût lié à la césarienne à travers le monde est évalué à 2 milliards de dollars US, sans prendre en considération la mobilisation inutile de ressources médicales autant en équipement qu’en personnel. Si l’on ose une approximation grossière pour la France : en partant d’un taux optimal de césariennes de 12.5% comme défini par l’OMS, il y a alors 8.5% des naissances faites par césariennes qui pourraient se faire par voie basse, soit environ un surcoût de 68 millions d’euros pour la Sécurité sociale. En amenant l’ensemble des femmes à participer aux séances de préparation à l’accouchement, le nombre de césariennes pourrait baisser de 1,6% (1). Et, de façon plus notable encore, sur la population des femmes socio-économiquement défavorisées, cela permettrait une baisse du nombre de césariennes de 2,2% (2).
Une meilleure préparation de la femme enceinte, quel que soit son statut socio-économique, permettrait donc de rapprocher la France du taux de recours recommandé par l’OMS pour une meilleure qualité des soins et cela, en réduisant les dépenses de santé liées à des pratiques de césariennes potentiellement évitables.

(1) et (2) A partir des résultats économétriques obtenus dans l’étude « Prenatal care and socioeconomic status : effect on cesarean delivery », C. Milcent and S. Zbiri.

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Titre original de l’article académique : « Prenatal care and socioeconomic status : effect on cesarean delivery », C. Milcent and S. Zbiri,

Publié dans : Health Economics Review, 8:7, 2018.

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