La science économique au service de la société

L’effet des taxes et des institutions sur le nombre d’heures travaillées : une explication des différences entre Etats-Unis et Europe continentale

François Langot et Alessandra Pizzo

JPEG - 41.8 ko

L’évolution du nombre total d’heures travaillées a suivi des trajectoires très différentes depuis les 50 dernières années aux Etats-Unis et en Europe continentale : actuellement, un travailleur américain-type passe autant de temps au travail que dans les années 60, quand un français ou un allemand travaille environ 30% de temps en moins. En France, non seulement les travailleurs effectuent moins d’heures, mais la proportion d’actifs a également diminué : le taux d’emploi, plus élevé qu’aux Etats-Unis dans les années 60, est aujourd’hui 5 points inférieur qu’outre Atlantique. Quels facteurs expliquent ces évolutions ? La situation des travailleurs européens est-elle préférable ? Abstraction faite des évolutions démographiques, deux ensembles d’indicateurs présentent un intérêt particulier : d’un côté, les taux d’imposition ont depuis une cinquantaine d’années augmenté dans la plupart des pays européens mais sont restés stables aux Etats-Unis (en deçà des taux européens) ; de l’autre, les conditions institutionnelles propres au marché du travail ont évolué : le taux de syndicalisation a fortement baissé aux Etats-Unis et en France, alors que la couverture sociale est resté très élevée en France, pays dans lequel le système d’allocations chômage a progressé au début des années 80 pour se stabiliser ensuite.
Dans cet article, François Langot et Alessandra Pizzo montrent qu’un même modèle d’équilibre général permet d’expliquer simultanément les deux composantes de l’offre total de travail, à savoir le taux d’emploi et le nombre d’heures effectuées par chaque travailleur. Les seuls facteurs différenciant les pays étant les changements observés de taux d’imposition, les institutions du marché du travail et les connaissances technologiques. A partir de ce modèle (validé par une suite de tests réalisés à partir des données existantes), les auteurs simulent différentes interventions publiques : quelle aurait été l’évolution du marché du travail en France avec des taxes et des institutions « à l’américaine » ? Quelles auraient été les conséquences sur le bien-être des individus ? Dans ce modèle, les travailleurs américains passent trop de temps en activité par rapport à l’allocation optimale, ce qui diminue de 5% leur consommation annuelle ; à l’inverse, les français travaillent trop peu, ce qui diminue leur consommation annuelle de 16%. En effet, une imposition plus faible entraîne d’une part un nombre d’heures travaillées plus élevé (avec des conséquences modérées sur l’emploi), et d’autre part, un marché du travail plus « flexibles » induit une réaction fortement positive du nombre de personnes employées. Si les gains d’une telle double réforme en termes de PIB sont substantiels (depuis 1981, l’écart entre la France et les Etats-Unis atteint plus de 7% par an), ils ne plaident pas en faveur de l’adoption du « modèle américain », dans la mesure où les efforts consentis sur le marché du travail auraient un coût supérieur aux gains en termes de consommation. Toutefois, sans aller jusqu’à une régulation à l’américaine, le cas de la France semble plutôt plaider en faveur d’une baisse de la fiscalité et d’une plus grande flexibilité.
......................
Titre original de l’article académique : “Accounting for labor gaps”
Publié dans : Documents de travail du CES 2015.36
Téléchargement : ftp://mse.univ-paris1.fr/pub/mse/CES2015/15036.pdf
......................
© alphaspirit - Fotolia.com