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L’insécurité de l’emploi menace-t-elle la santé ?

Lien court vers cet article : http://bit.ly/28K81D5

Eve Caroli et Mathilde Godard

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La période actuelle est marquée par la montée du sentiment d’insécurité de l’emploi dans de nombreux pays lié notamment à un turnover important de la main d’œuvre, souvent présenté comme facteur de productivité. Mais quel est l’impact de cette insécurité sur la santé des salariés ? De nombreux travaux ont été menés en Europe et aux Etats-Unis. Ils montrent que l’insécurité de l’emploi a un impact délétère sur le bien-être des travailleurs, avec une moindre satisfaction au travail, un stress accru, et plus de problèmes de santé physique ou mentale. Cependant, ces travaux mesurent essentiellement des corrélations sans tenir compte du caractère potentiellement endogène de l’insécurité de l’emploi (1). L’effet causal de l’insécurité de l’emploi sur la santé a déjà été estimé dans quelques travaux, utilisant par exemple des cas spécifiques liés à l’annonce de la fermeture d’un service dans une entreprise ou une administration. Ces études fournissent des résultats bien identifiés mais présentent l’inconvénient d’être difficilement généralisables dans la mesure où les effets sont estimés de façon locale pour une entreprise ou un pays, au cours d’un épisode donné.

Dans cet article, Eve Caroli et Mathilde Godard étudient l’impact causal du sentiment d’insécurité de l’emploi sur la santé dans 22 pays européens. Elles utilisent une méthode d’estimation permettant d’éliminer les biais liés à l’endogénéité de l’insécurité de l’emploi. Les données utilisées sont celles de la vague 2010 de l’Enquête Conditions de Travail Européenne. Cette enquête fournit des informations sur l’insécurité de l’emploi ressentie par les salariés, sur divers indicateurs de santé, ainsi que sur les caractéristiques socio-économiques des individus et leurs conditions de travail. Les résultats montrent l’importance de la méthode utilisée : si l’on ne prend pas en compte les problèmes d’endogénéité, l’insécurité de l’emploi semble dégrader tous les indicateurs de santé, à l’exception des maladies cardiovasculaires. En revanche, lorsque la méthode d’estimation élimine les biais liés à l’endogénéité du sentiment d’insécurité de l’emploi, l’impact délétère de celui-ci sur la santé n’est confirmé que pour un sous-groupe limité d’indicateurs de santé : les problèmes de peau, les maux de têtes et la fatigue oculaire. Par quels mécanismes l’insécurité de l’emploi affecte-t-elle la santé ? La littérature en psychologie a souligné le rôle du stress. Un autre facteur potentiel a trait aux dépenses de santé : si les individus qui craignent de perdre leur emploi accroissent leur épargne de précaution, une diminution de leurs investissements en santé pourrait favoriser le développement de certaines pathologies. Cette interprétation reste encore une hypothèse, qui devrait être validée (ou non) par des tests empiriques.

(1) Dans le cas présent, cela signifie que la relation de cause à effet est potentiellement circulaire entre insécurité de l’emploi et santé, rendant difficile l’identification de leurs impacts respectifs. Par exemple, si les indicateurs utilisés reposent sur une mesure du sentiment d’insécurité déclaré par l’individu et sur un niveau de santé lui aussi auto-déclaré, on voit bien qu’un individu pessimiste aura tendance à majorer le premier et minorer le second, conduisant ainsi à fausser l’évaluation de l’impact causal de l’insécurité de l’emploi sur la santé. Un biais affectera aussi l’estimation si les individus en mauvaise santé ont tendance à être confinés dans les emplois précaires.

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Titre original de l’article académique : “Does Job Insecurity Deteriorate Health ?”
Publié dans : Health Economics, 25(2), pp. 131-147, 2016
Téléchargement : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/hec.3122/abstract

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