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Explorer un marché via la structure de son réseau de transactions : le cas du marché du carbone

Lien vers cet article : http://bit.ly/25nG3Y4

Andreas Karpf, Antoine Mandel et Stefano Battiston

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Le système européen d’échange de quotas d’émission, « le marché du carbone », offre une opportunité rare d’observer in vivo le fonctionnement micro-économique d’un marché. En effet, chaque transaction sur ce marché doit être déclarée à la commission européenne qui les enregistre et les publie sur un site web dédié. Ainsi, en utilisant des techniques d’extraction (« web-scrapping »), il est possible de constituer une base de données contenant l’ensemble des transactions réalisées sur ce marché depuis sa création en janvier 2005.

Dans cet article, Andreas Karpf, Antoine Mandel et Stefano Battiston utilisent ce large ensemble de données pour étudier le fonctionnement du marché, à partir de la structure de son réseau de transactions. Ce réseau est formé d’entreprises qui ont échangé au moins un quota durant la période considérée. La structure du réseau peut être représentée par un « nuage de points » qui reflète le fonctionnement du marché. Ainsi, plusieurs observations émergent du visuel ci-contre : d’une part, il existe un cœur de réseau hyper-connecté réunissant des intermédiaires financiers et certaines grandes entreprises ; d’autre part apparait une périphérie constituée d’une série de cercles concentriques sur lesquels se trouvent des entreprises de plus petite taille, qui accèdent au marché uniquement par une série d’intermédiaires. Cette structure reflète l’organisation de gré à gré du marché : pour pouvoir vendre ou acheter des quotas, les entreprises de taille moyenne s’adressent à leurs contacts commerciaux ou financiers habituels, et une série d’intermédiaires sont nécessaires pour que l’offre rencontre la demande au cœur du marché. La centralité excessive de certains agents suggère aussi la possibilité pour ces derniers d’obtenir davantage d’informations sur l’état du marché et de l’utiliser en vue de réaliser des profits de nature « spéculative ». Si, en revanche, le marché avait été organisé autour d’une bourse unique, le réseau présenterait une image beaucoup moins hiérarchisée et organisée car les partenaires d’un échange auraient été sélectionnés au hasard, étant donné une offre et une demande compatible. L’analyse du marché par le prisme de la théorie des réseaux permet ainsi de tester des hypothèses sur l’exploitation stratégique des asymétries d’information sur le réseau financier. Les auteurs démontrent notamment que les agents les plus centraux ont un effet significatif sur le prix des quotas, l’écart entre prix d’offre et de demande (« bid-ask spread ») ainsi que sur les profits.
Il semble au final que le marché du carbone subit des coûts de transaction importants qui nuisent à son objectif premier, la réduction des émissions de gaz à effet de serre en Europe au moindre coût. Les développements récents suggèrent que le marché se rapproche, par une dynamique autonome, d’une organisation centralisée autour de quelques plateformes d’échange. Cependant, cette évolution institutionnelle est extrêmement lente : près d’une quinzaine d’années se sont écoulées depuis la création du marché. Un meilleur design initial aurait été extrêmement bénéfique pour la politique climatique européenne.

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Titre original de l’article académique : “A network-based analysis of the European Emission Market”
Publié dans : Documents de travail CES n°2015.84
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01243694/

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Crédit photo : Auteurs.