La science économique au service de la société

Fécondité, taille de ménage et pauvreté au Népal

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François Libois et Vincent Somville

Les campagnes de sensibilisation relatives aux questions de fécondité et de planning familial sont très répandues dans les pays en voie de développement. L’argument implicite qui sous-tend beaucoup de ces campagnes est qu’avoir beaucoup d’enfants appauvrit des ménages déjà fragilisés, voire que les enfants créent « un piège à pauvreté ». Avec un nombre croissant d’enfants, on s’attend à une diminution des moyens pour chacun d’entre eux, avec des effets négatifs potentiels sur leur santé, leur éducation et finalement les chances de réussite à court terme et long terme de tous les membres du ménage. De simples corrélations tendent à confirmer ces arguments. Au Népal, les parents qui ont le plus d’enfants vivent dans des ménages plus grands et, en moyenne, au revenu par tête plus faible. Prôner une fécondité réduite ne peut toutefois se faire sans une compréhension plus fine des effets d’un plus grand nombre d’enfants. Ceci est d’autant plus vrai quand la structure des ménages se complexifie et dépasse le cadre de la famille nucléaire (parents-enfants).

Dans cet article, François Libois et Vincent Somville, grâce à des enquêtes de ménages, analysent le lien entre le nombre d’enfants et la structure ainsi que la taille des ménages népalais. Pour les mères qui ont moins de 40 ans, une naissance supplémentaire se traduit par un accroissement un peu inférieur à l’unité de la taille du ménage – ce qui traduit l’absence de certains enfants envoyés dans d’autres familles mais aussi et surtout le départ de frères ou de sœurs du chef de famille - et ainsi le revenu par tête du ménage se réduit. De plus, les enfants ne peuvent contribuer aux revenus du ménage et le système d’allocation familiale népalais est très peu développé. Pour les femmes plus âgées (1), la relation s’inverse. Les femmes qui ont eu peu d’enfants voient leur taille de ménage augmenter alors que celles qui en ont eu davantage enregistrent une réduction significative du nombre d’habitants dans leur foyer. Formulé autrement, dans leur seconde partie du cycle de vie, les couples qui ont eu moins d’enfants tendent à accueillir plus de petits-enfants et de beaux-enfants au sein de leur foyer. Les couples qui ont eu plus d’enfants tendent quant à eux à les voir partir plus rapidement. Ce renversement de la relation entre nombre d’enfants et taille de ménage fait disparaître la relation statistique entre nombre d’enfants et faiblesse du revenu par tête. L’analyse des auteurs s’attache à tester la robustesse statistique des résultats, pour éviter, à titre d’exemple, que les estimations soient affectées par la préférence des parents pour des familles plus grandes. Les résultats sont cohérents avec les incitations économiques implicites du système d’héritage népalais. Ce dernier s’organise selon deux régimes : celui de la partition et celui de la succession. Le régime le plus courant est celui de la partition où tous les membres de la famille possèdent, en commun, la propriété familiale. Une partition se produit au moment du départ d’un des enfants du foyer parental. L’enfant qui quitte le foyer parental pour établir le sien obtient alors sa part, tout en sachant qu’il n’aura plus droit à ce qui reste au sein du foyer parental lors de la mort des parents. Les enfants qui restent jusqu’à la mort des parents sont quant à eux soumis au régime de la succession, où chaque enfant qui reste hérite des possessions parentales au prorata du nombre d’enfants encore présents (et à l’exclusion des enfants déjà partis). La cohabitation de ces deux régimes incite les enfants nés dans des grandes familles à quitter rapidement leurs parents car le coût du départ est faible alors que rester implique de partager une partie des revenus du travail de l’enfant avec ses frères et sœurs. A contrario, dans un foyer où les enfants sont peu nombreux, il est relativement plus intéressant de rester pour les questions d’héritage et moins coûteux en ce qui concerne le partage des fruits du travail. Ce système d’héritage est loin du régime successoral mis en place par le Code Civil dans de nombreux pays européen. Néanmoins il se rapproche de la « famille souche » décrite par Emmanuel Todd (2011) (2) ou par exemple, du système de « la Légitime » historiquement pratiqué dans les Pyrénées française (Poumarède, 1979 ; Augustins, 1989) (3).

(1) Au vu des restrictions de l’échantillon, ce sont les femmes âgées de 40 à 50 ans qui sont considérées.
(2) Todd crée une typologie des systèmes familiaux. La « famille souche » caractérise un système familial autoritaire et inégalitaire où le rôle de l’entité résidentielle et productive est prééminent. Ces systèmes familiaux tendent à préserver l’unité du foyer souche en donnant un avantage net à un héritier au détriment des autres.
(3) Poumarède et Augustins décrivent le système familial et la manière dont le patrimoine se transmettait traditionnellement dans les Pyrénées. Pour perpétuer la maisonnée et transmettre son patrimoine, seul l’ainé héritait, indépendamment de son sexe. A l’origine, les cadets ne peuvent prétendre à une part du patrimoine familial, mais autour du XVe siècle, la légitime commence à apparaître dans les contrats. Cette dernière constitue une part réservée pour les enfants qui n’héritent pas formellement.

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Titre original de l’article académique : Fertility, household size and poverty in Nepal

Publié dans : PSE Working Papers n°2017-55. 2017

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