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Tissu hospitalier français : d’un changement de codage à une baisse de budget des hôpitaux en zones plus rurales

Lien court vers ce résumé : https://bit.ly/2ISDA3c

Carine Milcent

Les hôpitaux français, publics comme privés, sont soumis à la Tarification à l’Activité (T2A) depuis 2004 avec une montée en puissance jusqu’à 100% en 2008. Ce mode de tarification a été globalement adopté par l’ensemble des pays développés avec des différences de rigidité. L’objectif est d’amener les établissements de santé à dépenser moins tout en offrant le même niveau de qualité des soins. Un paiement au coût (1) rembourse tout mais ne crée aucune incitation à réduire les dépenses. L’avantage d’un paiement au forfait est qu’il crée une incitation à la réduction du coût. L’hôpital connaît le montant de son remboursement quel que soit le montant de ces coûts. Toutefois, pour qu’un tel système de tarification fonctionne, cela suppose que les forfaits proposés soient en adéquation avec l’activité de l’hôpital. Des forfaits trop généreux n’aboutiraient pas à une réduction des dépenses hospitalières. A l’opposé, des forfaits insuffisants entraineraient une diminution drastique des coûts amenant à une diminution du niveau de qualité offert. Parallèlement, un paiement par forfait implique également une certaine homogénéité des pratiques ainsi remboursées. Si le même forfait est offert pour une opération d’appendice sans complication et pour une opération à cœur ouvert, il est évident que ce type de tarification conduirait les établissements de santé à délaisser les pratiques médicales les plus coûteuses laissant des patients sans prise en charge adéquate. Et nous aurions à faire face à une levée de bouclier de la part des professionnels de santé, cela à juste titre. Mais a contrario, des forfaits par pathologies et procédures trop circonscrites reviennent à tarifer à l’acte. La question de la mise en place d’une tarification n’est donc pas triviale. A l’instar de nos voisins, le nombre de forfait à considérer c’est à dire, la finesse de la classification mise en place, a varié au cours du temps. En 2009, on a observé un bouleversement silencieux : le nombre de tarifs forfaitaires, de l’ordre de 800 a presque été multiplié par 4, avec désormais près de 2400 tarifs. Le grand changement a été la prise en considération explicite des niveaux de gravité. Pour une même pathologie, le forfait augmente avec le niveau de sévérité du patient. Pour être mieux remboursé, l’hôpital a donc une incitation à avoir des patients plus sévèrement atteint... ou bien, apparaissant comme plus sévèrement atteint. Nous touchons là au cœur du système. A partir du recueil de l’information médicale et via des algorithmes complexes, chaque séjour se voit attribué un code (GHS) correspondant à un forfait. Mais, il y a la main de l’homme avant sa digitalisation. Quel est son effet ? C’est la question soulevée ici.

Carine Milcent étudie d’une part, les pratiques de recueil de l’information médicale et leur sensibilité à des variations de remboursement ; d’autre part, les effets potentiels de modification de la prise en charge des patients. Afin d’évaluer l’effet de la classification, les pratiques de codage sont comparées avant et après le bouleversement de classification des forfaits. La base de données a l’avantage unique de fournir pour un même séjour, les codes des deux systèmes de classement de tarif forfaitaire. Virtuellement, l’auteure “remonte dans le temps” en comparant, à partir des diagnostics observés et des actes exploratoires réalisés, le codage de séjours qu’ils auraient eu avant 2009 avec le classement observé après 2009. La médecine est une science mais chaque patient est unique ce qui rend complexe le contrôle du codage. Est donc évaluée la manipulation des codes pour des procédures ou actes réalisés et des diagnostics et comorbidités observés. Carine Milcent met clairement en évidence une modification des pratiques de codage après 2009 allant dans le sens d’une apparente plus grande sévérité des cas traités. Ceci permet aux établissements de santé d’augmenter leur forfait tout en laissant inchangé leur pratique médicale. Ainsi, seule la fiabilité du recueil des données (big data) est affectée. Ceci semble sans conséquence pour les patients... en fait, ce n’est pas si simple. Le budget du tissu hospitalier français dans son ensemble est fixé en amont de chaque année à venir par la loi de LFSS (loi de financement de la sécurité sociale). Ensuite, le budget se répartit entre les établissements. Si l’ensemble des hôpitaux modifie leur comportement de codage de façon similaire, il s’agit alors d’un jeu à somme nulle sans conséquence. Mais, ce n’est pas le cas : la réallocation budgétaire liée à certains comportements de codage défavorise les petits établissements de santé, moins réactifs à l’optimisation de leur profit. En conséquence directe, ces établissements étant dans des zones faiblement peuplés, cet effet défavorise les populations des zones plus rurales se caractérisant par une raréfaction de l’accès aux soins.

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Titre original de l’article académique : Up-coding and heterogeneity in hospitals’ response : A Natural Experiment

Publié dans : working paper PSE No. 201423, 2018.

Téléchargement : https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/milcent-carine/upcoding.pdf

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