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La séquence des réformes affecte-t-elle les performances du secteur de la téléphonie. L’exemple des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord

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Carlo Cambini, Riham Ahmed Ezzat et Carine Staropoli

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A la suite des expériences pionnières américaines et britanniques conduites dans les années 1980, de nombreux pays ont décidé de libéraliser les industries dites de réseau, en commençant généralement par le secteur des télécommunications. A l’origine de ces réformes, la volonté de rompre avec l’organisation du secteur en monopole public considéré comme trop cher, incapable d’innover, peu efficace, etc. Inspirée en partie par les travaux en économie de la régulation, la libéralisation du secteur des télécommunications consiste en une triple réforme : un redécoupage de l’organisation industrielle, la mise en place d’un nouveau cadre de régulation, la « re-régulation » qui passe généralement par la création d’une autorité de régulation indépendante chargée de promouvoir la concurrence, et la privatisation de tout ou partie de l’opérateur historique.

Dans cet article, Carlo Cambini, Riham Ezzat et Carine Staropoli étudient l’influence de la séquence des mesures adoptées sur le succès des réformes de libéralisation des télécoms, et s’intéressent aux éventuels enseignements qui peuvent en être tirés.«  » Leur analyse se concentre sur les expériences conduites dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Dans ces pays, le manque d’infrastructures fiables est un obstacle majeur au développement économique et la libéralisation est vue comme un levier essentiel pour créer des incitations à l’investissement. Même si la pénétration mobile est élevée dans la plupart des pays (exception faite de Djibouti, du Yémen ou de la Syrie), le haut débit, pierre angulaire de l’économie numérique, reste faible dans la zone en comparaison d’autres pays émergents : la vitesse des connexions mobiles haut débit y est inférieure à la moyenne mondiale. Si les différences de performances s’expliquent par les caractéristiques institutionnelles, économiques et politiques propres à chaque pays, les auteurs montrent que la séquence des réformes est aussi un déterminant non négligeable. Pour ce faire, ils s’appuient sur une base de données construite à partir d’informations détaillées sur la séquence et la nature des réformes, les performances (en termes de prix, d’accessibilité des technologies fixes et mobiles et de la qualité de service) et les caractéristiques institutionnelles et économiques des pays.
Le résultat le plus marquant suggère que la mise en place d’une autorité de régulation indépendante avant la privatisation de l’opérateur historique, et avant qu’une concurrence effective au sein du secteur ne soit observée, est essentielle pour le succès de la libéralisation, surtout dans le cas de la téléphonie mobile. C’est à cette condition que la réforme est jugée crédible et que les nouveaux entrants disposent de suffisamment de garanties pour accepter d’investir sur le marché et améliorer ainsi les performances du secteur. Une autorité de régulation indépendante semble aussi empêcher que l’opérateur historique, une fois privatisé, ne restreigne l’offre des services, notamment l’accès à la téléphonie fixe (devenue moins rentable que la téléphonie mobile mais utile au déploiement du numérique). Cela passe par une augmentation des prix de la téléphonie fixe, justifiée en partie par la fin des subventions accordées à l’entreprise publique. Cela peut aussi s’expliquer par le phénomène de capture du régulateur par l’opérateur privé, favorisée par la fragilité des institutions et la difficulté à lutter contre la corruption. Les tarifs élevés sont certes préjudiciables aux consommateurs dans l’immédiat, mais ils envoient également un signal positif aux nouveaux entrants, ce qui devrait à terme être bénéfique.

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Titre original de l’article : « Do reform sequences matter for Telecom performances. Evidence for MENA countries »

Publié dans : Revue d’Economie Politique. N°5, sept-octobre 2018. pp 713-744

Disponible à : https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2018-5.html