La science économique au service de la société

Les politiques de retraite, centrées sur les individus, contraignent-elles les choix des seniors, majoritairement en couple ?

Lien court vers cet article : http://bit.ly/1REkybP

Elena Stancanelli

JPEG - 59.1 ko

Le vieillissement de la population et l’augmentation de la pression budgétaire ont conduit la plupart des pays de l’OCDE à introduire des réformes visant à prolonger la durée du travail via notamment l’augmentation de l’âge légal de la retraite. La France a été pionnier dans ce domaine. Comme dans la majorité des autres pays, les politiques de retraite y sont conçues individuellement, or 80% des personnes âgées (plus de 60 ans) vivent en couple et très probablement planifient leur retraite ensemble. Aux Etats-Unis comme en France, trois quarts des couples sont bi-actifs, et la plupart des femmes mariées travaillent à temps plein. Le taux d’emploi des individus âgés de plus de 60 ans en France est cependant quasiment nul, et un des plus faibles des pays de l’OCDE. Il est donc primordial, d’un point de vue des politiques publiques, de comprendre les stratégies de retraite des travailleurs mariés.

Dans cet article, Elena Stancanelli analyse une réforme votée durant l’été 1993 par le gouvernement français, qui a incité - en augmentant les trimestres requis pour le taux plein - les travailleurs nés après 1933 à retarder leur départ à la retraite. Elle estime ses effets sur les décisions des conjoints vis-à-vis de leur emploi. L’auteur utilise les données de l’enquête emplois de l’INSEE, regroupées sur plusieurs années, qui couvrent un échantillon de 50 000 couples de seniors. La première conclusion concerne l’effet « attendu » de la réforme : elle a immédiatement réduit la probabilité de retraite à 60 ans des deux conjoints (1) mais a également augmenté légèrement la probabilité d’être au chômage pour le mari et de se déclarer « au foyer » pour la femme (2). La deuxième conclusion met en avant une faible baisse de la probabilité pour chaque conjoint de prendre sa retraite lorsque l’autre conjoint est concerné par la reforme de 1993. La réforme incitant les individus à retarder légèrement leur départ à la retraite, cette conclusion n’est pas surprenante : la complémentarité des loisirs au sein du couple (soit le souhait de passer du temps de loisir ensemble) serait un des principaux moteurs du choix de partir à la retraite ‘ensemble’ selon grand nombre d’études économiques. L’auteur considère ensuite l’âge légal de départ à la retraite : si le mari est âgé de 60 ans, sa propre probabilité de partir à la retraite augmente d’environ 30 points de pourcentage ; et cela a par effet d’augmenter aussi la probabilité de partir à la retraite de la femme (de 2 à 5 points de pourcentage), quelle que soit l’âge de la femme. Cependant, ces effets croisés du départ à la retraite d’un conjoint sur le départ de l’autre sont au final très faibles. En moyenne, le mari est deux années plus âgé que la femme en France, et les modalités légales actuelles « empêchent » les couples bi-actifs de partir à la retraite ensemble ; le mari se retrouve souvent au foyer pendant de longues années tandis que la femme continue de travailler pour cotiser jusqu’à atteindre le taux plein. Ainsi, cet article met en lumière le rôle « négatif » que peuvent jouer les politiques publiques d’âge légal de départ à la retraite, en entravant les possibilités de départ conjoint à la retraite des seniors.
(1) Baisse d’environ 2 points de pourcentage pour le mari et 4 points de pourcentage pour la femme
(2) Respectivement +1 point et +3 points de pourcentage

......................
Titre original de l’article académique : “Spousal Retirement : a Regression Discontinuity Study”
Publié dans : AGENTA Working Paper
Téléchargement : http://www.agenta-project.eu/en/news/beitrag/new-agenta-working-paper-is-now-online.htm

......................
© Talashow - Fotolia.com